Page:Dumas - La Villa Palmieri.djvu/57

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comme dédommagement de la perte de ses États, définitivement réunis à la France. Jean-Gaston connut cette dernière décision lorsqu’elle était prise, on ne l’avait pas même consulté sur le choix de son héritier, tant on le regardait déjà non-seulement comme rayé de la liste des princes, mais encore de celle des vivans. Et, en effet, on avait raison ; car, rongé par toutes les débauches, courbé par toutes les douleurs, brisé par toutes les humiliations, dévoré par toutes les impuissances, Jean-Gaston s’en allait mourant chaque jour. Depuis longtemps déjà ses infirmités ne lui permettaient plus de se tenir debout, mais pour retarder au moins autant qu’il était en lui le moment où il devait se coucher pour ne se relever jamais, il se faisait porter dans un fauteuil d’appartement en appartement.

Cependant, quelques jours avant sa mort, Jean-Gaston se sentit mieux ; et, par un phénomène particulier à certaines maladies, ses forces lui revinrent au moment où elles allaient l’abandonner tout à fait. Jean-Gaston en profita pour se montrer aux fenêtres du palais Pitti, à ce peuple qui avait commencé par le mépriser, puis qui, après l’avoir craint, avait enfin fini par l’aimer, et qui s’amassait chaque jour sur la place pour avoir de ses nouvelles. À son aspect inattendu, de grands cris de joie éclatèrent ; ces cris étaient un baume au cœur navré du pauvre mourant. Il tendit au peuple qui lui donnait cette preuve d’amour ses mains pleines d’or et d’argent, ne pensant pas qu’il pût jamais payer le moment de bonheur que la Providence lui accordait. Mais ses ministres, qui déjà économisaient pour son successeur, le réprimandèrent de ses folles dépenses ; et alors, ne pouvant plus donner sous peine d’être appelé prodigue, Jean-Gaston dit au peuple qu’il achèterait désormais tout ce qu’on voudrait bien lui apporter. En conséquence, un marché étrange, une foire inconnue, s’établit sur la noble place du palais Pitti. Chaque matin Jean-Gaston montait à grand’peine le double escalier qui conduit aux fenêtres du rez-de-chaussée, et achetait à prix d’or ce qu’on lui apportait, tableaux, médailles, objets d’art, livres, meubles, tout enfin, car c’était un moyen que son cœur lui avait suggéré de rendre au peuple une petite portion de cet argent qui lui