Heureusement, vers le même temps, un bateau à vapeur sauta sur la Seine, et un autre sur le Rhône.
La société offrit les siens ; et comme ils étaient tout prêts, ce qui permettait aux compagnies de la Seine et du Rhône de continuer leur service presque sans interruption, elle fit valoir la circonstance, et gagna cinquante mille francs dessus.
Grâce à cette circonstance, mon ami conserva ses quarante mille francs qui, placés à cinq, lui donnent deux mille livres de rente, lesquels deux mille livres de rente il mange tranquillement en Provence, dégoûté des spéculations et tremblant toutes les fois qu’on lui parle d’un fleuve.
Or, voilà ce qui était arrivé à mon ami à l’endroit de l’Arno ; ce qui, outre le témoignage de mes propres yeux, avait semblé pouvoir m’autoriser à avancer sur ce fleuve l’opinion qui avait si fort effarouché Florence, et dont elle avait si fort tenu à me faire revenir.
Or, voici les preuves qu’on m’avait données. Je les livre aux lecteurs dans leur écrasante supériorité.
D’abord il y avait eu, outre le déluge général de Noé et le déluge partiel d’Ogygès, qui, selon les savans, s’est étendu jusqu’à Florence, trois débordemens de l’Arno : le premier au onzième siècle, le second vers la fin du douzième, et le troisième au commencement du quatorzième. Dans ces trois débordemens, Quinze maisons s’étaient écroulées et trois personnes avaient péri. On allait en bateau dans les rues. On me montra une vieille gravure qui représentait ce dernier événement ; c’était à faire frémir : la ville était à blanc d’eau, et un vaisseau de 74 canons aurait pu naviguer sur la place de la Trinité.
Après le récit de ces trois déplorables événemens vint celui des fêtes dont l’Arno avait été le théâtre, et pour chacune desquelles il avait prêté le secours de ses abondantes eaux. Ces fêtes furent si nombreuses que leur programme seul formerait un volume : aussi n’en citerons-nous que trois, dans lesquelles on verra d’abord l’Arno jouant le rôle de l’Achéron, puis l’Arno jouant le rôle de la Newa, puis enfin l’Arno jouant le rôle de l’Hellespont. L’Arno est le maître Jacques des fleuves ; il se prête à tout avec la bonhomie de la force et la complaisance de la supériorité.