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Page:Dumas - La Villa Palmieri.djvu/68

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C’est à l’an de grâce 1504 que remonte la fête la plus antique que le fleuve florentin cite dans ses preuves de noblesse ; elle eut lieu à propos de l’arrivée à Florence du cardinal Nicolas de Prato, légat du Saint-Siège, et elle fut donnée par le bourg San-Friano.

Un jour on trouva affiché, non-seulement sur les murs de Florence, mais encore sur ceux de toutes les villes de la Toscane, que quiconque aurait envie de savoir des nouvelles de l’autre monde n’avait qu’à se rendre le jour des calendes de mai sur le pont alla Carraja, et que là il lui en serait donné de certaines.

On comprend qu’une pareille annonce éveilla une curiosité générale : c’était justement l’époque où venaient de paraître les six premiers chants de la Divine Comédie, et l’enfer était à la mode.

Chacun accourut donc au jour indiqué ; on s’entassa sur le pont alla Carraja, qui, à cette époque, était de bois, et sur les quais environnans : toutes les fenêtres qui donnaient sur l’Arno étaient garnies de spectateurs comme les loges d’un théâtre un jour d’une représentation gratis. Or, on avait organisé au beau milieu du fleuve et de chaque côté du pont alla Carraja, à l’aide de bateaux et de barques retenus par des piquets, des espèces de gouffres infernaux éclairés par des flammes de couleur, et au fond desquels on voyait s’agiter, poussant des cris lamentables et grinçant des dents, une certaine quantité d’individus dans le costume historique de nos premiers parens, lesquels représentaient les malheureuses âmes en peine della citta dolente. Bon nombre de diables et de démons, horribles à voir, tenant en main des fouets, des fourches et des tridens, vaguaient au milieu des damnés, dont ils redoublaient les pleurs et les contorsions en les accablant de coups ; si bien que c’était un spectacle terrible à voir. Mais plus ce spectacle était terrible à voir, plus il attira de spectateurs ; et il en attira tant et tant, et l’on s’entassa si fort pour le voir de plus près, que tout à coup le pont se rompit et s’abîma avec ceux qui le surchargeaient sur les diables et les damnés, qu’ils écrasèrent en se brisant avec eux. Si bien, dit naïvement Jean Villani, qui raconte cette catastrophe, qu’il y eut plus de quinze cents