Aller au contenu

Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

la main, était allé se plaindre à la garde ; or, la garde était composée de soldats napolitains qui, ne demandant pas mieux que de chercher noise à un Sicilien, vinrent signifier à Lucca de sortir du parterre. Lucca, qui n’avait en rien troublé la tranquillité publique, les envoya promener ; un Napolitain lui mit la main sur le collet ; un coup de poing bien appliqué l’envoya rouler à dix pas ; mais aussitôt tous tombèrent sur le récalcitrant, qui se débattit quelque temps et finit enfin par recevoir un coup de crosse qui lui fendit le crâne et le renversa évanoui. Alors on l’emporta et on le déposa dans un des cachots de la prison. Lorsque le lendemain le juge vint pour l’interroger, il était fou.

Sa folie était des plus poétiques : tantôt il se croyait Le Tasse, tantôt Shakespeare, tantôt Chateaubriand. Ce jour-là il s’était décidé pour Dante, et suivant une allée, un crayon et du papier à la main, il composait son 33e chant de l’Enfer.

Je m’approchai de lui par derrière, il en était à l’épisode d’Ugolin ; mais sans doute la mémoire lui manquait, car deux ou trois fois il répéta en se frappant le front :

La bocca sollevò dal fiero pasto ;

mais sans pouvoir aller plus loin. Je pensai que c’était un excellent moyen de me mettre dans ses bonnes grâces que de lui souffler les premiers mots du vers suivant ; et comme il se frappait la tête de nouveau en signe de détresse, j’ajoutai :

Quel peccator forbendola.

— Ah ! merci, s’écria-t-il, merci ; sans vous je sentais toutes mes idées qui se brouillaient, et je crois que j’allais de venir fou. Quel peccator forbendola. C’est cela, c’est cela, et il continua :

A’capelli .........

jusqu’à la fin du second tercet.

Alors, profitant du point qui suspendait le sens, et permettait au compositeur de respirer :