Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/13

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— Pardon, monsieur, lui dis-je, mais j’apprends que vous êtes le Dante.

— C’est moi-même, me répondit Lucca, que voulez-vous ?

— Faire votre connaissance. J’ai d’abord été à Florence pour avoir cet honneur, mais vous n’y étiez plus.

— Vous ne savez donc pas, répondit Lucca avec cette voix brève qui est un des caractères de la folie, ils m’en ont chassé de Florence ; ils m’ont accusé d’avoir volé l’argent de la république. Dante un voleur ! J’ai pris mon épée, les sept premiers chants de mon poëme, et je suis parti.

— J’avais espéré, repris-je, vous joindre entre Feltre et Montefeltro.

— Ah ! oui, dit-il, oui, chez Can Grande délia Scala.

El gran Lombardo,

Che’n su la Scala porta il santo uccello.

Mais je n’y suis resté qu’un instant ; il me faisait payer trop cher son hospitalité : il me fallait vivre là avec des flatteurs, des bouffons, des courtisans, des poètes ; et quels poëtes ! Pourquoi n’êtes-vous pas venu par Ravenne ?

— J’y ai été, mais je n’y ai trouvé que votre tombeau.

— Et encore je n’étais plus dedans. Vous savez comment j’en suis sorti ?

— Non.

— J’ai trouvé un moyen de ressusciter toutes les fois que je suis mort.

— Est-ce un secret ?

— Pas le moins du monde.

— Peste ! mais c’est que je ne serais pas fâché de le connaître.

— Rien de plus facile : au moment de mourir je recommande qu’on creuse ma fosse bien profonde, bien profonde : vous savez que le centre de la terre est un immense lac ?

— Vraiment ?

— Immense. Or, l’eau ronge toujours, comme vous savez ; l’eau ronge, ronge, ronge, jusqu’à ce qu’elle arrive à moi ; alors elle m’emporte jusqu’à la mer. Arrivé au fond de la mer, je me couche, les deux talons appuyés à deux branches