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Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/120

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acheter ce nombre d’une seule fois, sinon il n’était pas permis d’en reprendre. Pascal Bruno, n’ayant acheté qu’une balle, n’avait donc qu’un seul coup à tirer ; mais, quoiqu’il ne se fût fait à lui-même qu’une bien faible chance, l’inquiétude n’en était pas moins grande parmi les autres tireurs, qui connaissaient son adresse devenue presque proverbiale dans tout le canton.

On en était à l’N quand Bruno arriva ; on épuisa donc toutes les lettres de l’alphabet avant d’arriver à lui ; puis on recommença par l’A, puis on appela le B ; Bruno se présenta.

Si le silence avait été grand lorsqu’on avait purement et simplement vu Bruno paraître, on comprend qu’il fut bien plus grand encore quand on le vit s’apprêter à donner une preuve publique de cette adresse dont on avait tant parlé, mais sans que personne cependant pût dire qu’il la lui eût vue exercer. Le jeune homme s’avança donc suivi de tous les regards jusqu’à la corde qui marquait la limite, et, sans paraître remarquer qu’il fût l’objet de l’attention générale, il s’assura sur sa jambe droite, fît un mouvement pour bien dégager ses bras, appuya son fusil à son épaule, et commença de prendre son point de mire du bas en haut.

On comprend avec quelle anxiété les rivaux de Pascal Bruno suivirent, à mesure qu’il se levait, le mouvement du canon du fusil. Bientôt il arriva à la hauteur du but, et l’attention redoubla ; mais, au grand étonnement de l’assemblée, Pascal continua de lever le bout de sa carabine, et à chercher un autre point de mire ; arrivé dans la direction de la cage de fer, il s’arrêta, resta un instant immobile comme si lui et son arme étaient de bronze ; enfin, le coup si lontemps attendu se fît entendre, et le crâne enlevé de sa cage de fer tomba au pied de la muraille, Bruno enjamba aussitôt la corde, s’avança lentement, et sans faire un pas plus vite que l’autre, vers ce terrible trophée de son adresse, le ramassa respectueusement, et sans se retourner une seule fois vers ceux qu’il laissait stupéfaits de son action, il prit le chemin de la montagne.

Deux jours après, le bruit d’un autre événement, dans lequel Bruno avait joué un rôle aussi inattendu et plus tragi-