Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/14

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de corail. Le corail pousse ; car, comme vous le savez, le corail est une plante ; il pousse, pousse, pousse, passe dans les veines et fait le sang ; alors il monte toujours, monte, monte, monte, et quand il arrive au cœur je ressuscite.

— Mon cher poète, dit vivement le baron interrompant notre conversation, est-ce que vous ne serez pas assez bon pour jouer une contredanse à ces pauvres gens ?

— Si fait, mon cher baron, reprit Lucca en prenant le violon que lui présentait le baron Pisani, et en le mettant d’accord, si fait ; où sont-ils, où sont-ils ? Et il monta sur une chaise, comme ont l’habitude de faire les ménétriers.

— Maestro, dit le baron en appelant Gaëtano qui accourut avec sa guitare ;, maestro, une contredanse.

— Oui, Majesté, répondit Gaëtano en montant sur une chaise voisine de celle de Lucca, et en lui donnant le la.

Et tous deux se mirent à jouer une contredanse.

Aussitôt de tous les coins du jardin accoururent, dans les costumes les plus étranges, une douzaine de fous, hommes et femmes, parmi lesquels je reconnus au premier coup d’œil le fils de l’empereur de la Chine et le prétendu mort ; le premier avait sur la tête une magnifique couronne de papier doré ; l’autre était enveloppé d’un grand drap blanc et marchait d’un pas grave et posé, comme il convient à un fantôme : les autres étaient le fou mélancolique, qui venait visiblement à regret, et que de temps en temps étaient obligés de pousser deux gardiens ; une femme qui se croyait sainte Thérèse et qui avait des extases, puis enfin une jeune femme de vingt à vingt-et un ans, dont on pouvait sous les traits flétris deviner la beauté première : elle aussi venait péniblement, et plutôt traînée que conduite par une femme qui paraissait chargée de sa garde ; enfin elle se mil en place comme les autres, et la contredanse commença.

Contredanse étrange, où chaque acteur semblait obéir mécaniquement à la pression de quelque ressort secret qui le mettait en mouvement, tandis que son esprit suivait la pente où l’entraînait la folie ; quadrille joyeux en apparence, sombre en réalité, où tout était insensé, musique, musiciens et danseurs ; spectacle terrible à regarder, en ce qu’il laissait voir au plus profond de la faiblesse humaine.