Aller au contenu

Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Je m’écartai un instant. J’avais peur de devenir fou moi-même.

Le baron vint à moi.

— J’ai interrompu votre conversation avec ce pauvre Lucca, me dit-il, car je ne permets pas qu’il se perde dans ses systèmes métaphysiques. Les fous métaphysiciens sont les plus difficiles à guérir, en ce qu’on ne peut pas dire où la raison finit, où la folie commence. Qu’il se croie Dante, Le Tasse, Arioste, Shakespeare ou Châteaubriand, il n’y a pas d’inconvénient à cela. J’ai sauvé presque tous ceux qui n’avaient que ce genre d’aliénation, et je sauverai Lucca, j’en suis certain. Mais ceux que je ne sauverai pas, continua le baron en secouant la tête et en étendant la main vers les danseurs, c’est cette pauvre folle qui se débat pour quitter sa place et retourner à l’écart. Et, tenez, la voilà qui se renverse en arrière, sa crise lui prend : jamais elle ne pourra entendre la musique, jamais elle ne pourra voir danser sans retomber dans sa folie. — C’est bien, c’est bien, laissez-la tranquille, cria le baron à la femme qui en avait soin, et qui voulait la forcer de rester à la contredanse. Costanza, Costanza, viens, mon enfant, viens. Et il fit quelques pas vers elle, tandis que la jeune fille, profitant de sa liberté, accourait légère comme une gazelle effarouchée, et, tout en regardant derrière elle pour voir si elle n’était pas poursuivie, venait se jeter toute sanglotante dans ses bras.

— Eh bien ! mon enfant, dit le baron, voyons, qu’y a-t-il encore ?

— 0 mon père, mon père ! ils ne veulent pas ôter leurs masques, ils ne veulent dire leurs noms qu’à lui, ils l’emmènent dans la chambre à côté. Oh ! ne le laissez pas aller avec eux, au nom du ciel ! ils le tueront. Albano, Albano ! ah !... ah ! mon Dieu, mou Dieul c’est fini... il est trop tard ! Et la jeune fille se renversa presque évanouie dans les bras du baron, qui, quelque habitué qu’il fût à ce spectacle, ne put s’empêcher de tirer un mouchoir de sa poche et d’essuyer une larme qui roulait le long de sa joue.

Pendant ce temps-là les autres dansaient toujours, sans s’occuper le moins du monde de la douleur de la jeune fille ; et, quoique sa crise eût commencé au milieu de tous, aucun