Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/160

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nement presque magique. On voyait les efforts qu’il faisait pour résister, mais la musique l’emportait. Pour le flûteur et le guitariste, le premier soufflait à perdre haleine, tandis que le second grattait à se démancher les bras. Les assistans trépignaient, Agnolo bondissait, Jadin et moi nous nous laissions aller comme les autres à ce spectacle diabolique, quand tout à coup je vis Nunzio qui, perçant la foule, venait dire tout bas quelques paroles au capitaine. Aussitôt le capitaine étendit la main, et me touchant l’épaule :

— Excellence ? dit-il.

— Eh bien ! qu’y a-t il ? demandai-je.

— Excellence, c’est le vieux qui assure qu’il se passe quelque chose de singulier dans l’air, et qu’au lieu de regarder danser des danses qui révoltent le bon Dieu, nous ferions bien mieux de nous mettre en prières.

— Mais que diable Nunzio veut-il qu’il se passe dans l’air ?

— Jésus ! cria le capitaine, on dirait que tout tremble. Cette judicieuse remarque fut immédiatement suivie d’un cri général de terreur. Le bâtiment vacilla comme s’il était encore en pleine mer. Un des deux étais qui le soutenaient glissa le long de sa carène, et le speronare, versant comme une voiture à laquelle deux roues manqueraient à la fois du même côté, nous envoya tous, danseurs, musiciens et assistans, rouler pêle-mêle sur le sable.

Il y eut un instant d’effroi et de confusion impossible à décrire ; chacun se releva et se mit à fuir de son côté, sans savoir où. Quant à moi, n’ayant plus aucune idée, grâce à la culbute que je venais de faire, de la topographie du terrain, je m’en allais droit dans la mer, quand une main me saisit et m’arrêta. Je me retournai, c’était le pilote.

— Où allez-vous, Excellence ? me dit-il.

— Ma foi ! pilote, je n’en sais rien. Allez-vous quelque part ? Je vais avec vous, ça m’est égal.

— Nous n’avons nulle part à aller, Excellence ; et ce que nous pouvons faire de mieux, c’est d’attendre.

— Eh bien ! dit Jadin en arrivant à son tour tout en crachant le sable qu’il avait dans la bouche, en voilà une de cabriole !