Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/199

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ses deux mains : cet homme de bronze, qui avait toujours, exempt de blessures quoique toujours au feu, caracolé au milieu de tant de champs de bataille sans faiblir un seul instant, se sentit brisé à la vue inopinée de ce beau jeune homme, que sa famille lui avait confié, qui venait de tomber pour lui dans une échauffourée sans gloire, et que des indifférens enterraient comme un chien sans même demander son nom.

Au bout d’un quart d’heure Murat se releva et se rapprocha de nouveau de la fenêtre. Cette fois la plage, à part quelques curieux attardés, était à peu près déserte ; seulement, à l’endroit que couvrait dix minutes auparavant le rassemblement qui avait attiré l’attention du prisonnier, une légère élévation, remarquable par la couleur différente que conservait la terre nouvellement retournée, indiquait l’endroit où Campana venait d’être enterré.

Deux grosses larmes silencieuses coulaient des yeux de Murat, et il était si profondément préoccupé qu’il ne voyait pas le concierge qui, entré depuis plusieurs minutes, n’osait point lui adresser la parole. Enfin, à un mouvement que le bonhomme fit pour attirer son attention, Murat se retourna.

— Excellence, dit-il, c’est le souper qui est prêt.

— Bien, dit Murat en secouant la tête comme pour faire tomber la dernière larme qui tremblait à sa paupière ; bien, je te suis.

— Son Excellence le général Nunziante demande s’il lui serait permis de dîner avec Votre Excellence.

— Parfaitement, dit Murat. Préviens-le, et reviens dans cinq minutes.

Murat employa ces cinq minutes à effacer de son visage toute trace d’émotion, de sorte quels général Nunziante entra lui-même a la place du concierge. Le prisonnier le reçut d’un visage si souriant, qu’on eût dit que rien d’extraordinaire ne s’était passé.

Le dîner était préparé dans la chambre voisine ; mais la tranquillité de Murat était toute superficielle ; son cœur était brisé, et vainement essaya-t-il de prendre quelque chose. Le général Nunziante mangea seul ; et, supposant que le