Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/230

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— Impossible ! m’écriai-je, j’ai une lettre de lui pour le duc de Noja.

Je m’élançai vers ma redingote, je tirai de ma poche mon portefeuille, et du portefeuille la lettre.

— Tenez.

— Quelle est sa date? — Je regardai.

— 6 mars.

— Eh bien ! mon cher, me dit Jadin, nous sommes aujourd’hui au 18 octobre, et le pauvre garçon est mort dans l’intervalle, voilà tout. Ne savez-vous pas que, de compte fait, notre sublime humanité possède 22,000 maladies, et que nous devons à la mort 42 cadavres par minute, sans compter les époques de peste, de typhus et de choléra où elle escompte.

— Bellini est mort !... répétai-je sa lettre à la main.

Cette lettre, je la lui avais vu écrire au coin de ma cheminée ; je me rappelai ses beaux cheveux blonds, ses yeux si doux, sa physionomie si mélancolique ; je l’entendais me parler ce français qu’il parlait si mal avec un si charmant accent ; je le voyais poser sa main sur ce papier : ce papier conservait son écriture, son nom ; ce papier était vivant et lui était mort ! Il y avait deux mois à peine qu’à Catane, sa patrie, j’avais vu son vieux père, heureux et fier comme on l’est à la veille d’un malheur. Il m’avait embrassé, ce vieillard, quand je lui avais dit que je connaissais son fils ; et ce fils était mort ! ce n’était pas possible. Si Bellini fût mort, il me semble que ces lignes eussent changé de couleur, que son nom se fût effacé ; que sais-je! je rêvais, j’étais fou. Bellini ne pouvait pas être mort ; je me rendormis.

Le lendemain on me répéta la même chose, je ne voulais pas la croire davantage ; ce ne fut qu’en arrivant à Naples que je demeurai convaincu.

Le duc de Noja avait appris que j’avais pour lui une lettre de l’auteur de la Somnambule et des Puritains, il me la fit demander. J’allai le voir et je la lui montrai, mais je ne la lui donnai point. Cette lettre était devenue pour moi une chose sacrée : elle prouvait que non-seulement j’avais connu Bellini, mais encore que j’avais été son ami.

La nuit avait été pluvieuse, et le temps ne paraissait pas