Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/55

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directement sur Jadin qui était resté en arrière. Il n’y avait pas moyen de fuir ; Jadin se crut écrasé et, par un mouvement machinal, il étendit la main en avant : j’éprouvai un instant d’horrible angoisse, quand tout à coup, à mon grand étonnement, je vis cette masse énorme s’arrêter devant l’obstacle qui lui était opposé. Alors Jadin prit le rocher dans sa main, le souleva à la hauteur de l’œil, l’examina avec attention, puis le rejeta par-dessus son épaule.

Le rocher était un bloc de pierre ponce qui ne pesait pas vingt livres ; tous les autres rochers environnans étaient de même matière, et la montagne même sur laquelle nous marchions, avec sa solidité apparente, savait pas plus d’opacité réelle : détachée de sa base, le gouverneur nous assura qu’entre nous trois nous pourrions la transporter d’un bout à l’autre de l’île.

Cette explication m’ôta un peu de ma vénération pour les Titans, et je ne les réintégrerai dans mon estime première que lorsque je me serai assuré par moi-même qu’Ossa et Pélion ne sont point des montagnes de pierre ponce.

Arrivés au sommet de Campo-Bianco, nous dominâmes tout l’archipel ; mais autant la vue que nous avions autour de nous était magnifique, autant celle que nous avions au-dessous de nous était sombre et désolée : Lipari n’est qu’un amas de rocs et de scories ; les maisons elles-mêmes, de la distance où nous les voyions, semblaient un amas de pierres mal rangées, et à peine sur la surface de toute l’île distinguait-on deux ou trois morceaux de verdure, qui semblaient, pour me servir de l’expression de Sannaiar, des fragmens du ciel tombés sur la terre. Je compris alors la tristesse et l’ennui de notre malheureux gouverneur, qui, né à Naples, c’est à-dire dans la plus belle ville du monde, était forcé, pour quinze cents francs par an, d’habiter cet abominable séjour.

Nous nous étions laissés attarder à regarder ce splendide panorama qui nous entourait et le lugubre spectacle que nous dominions : six heures et demie sonnèrent, nous n’avions plus qu’une demi-heure devant nous pour ne pas faire attendre nos hôtes : nous descendîmes tout courans, et, après avoir promis au gouverneur d’aller prendre le café