Page:Dumas - Le Capitaine Pamphile, 1875.djvu/143

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mer moutonneuse, les dos fauves de ses ennemis ; d’ailleurs, chaque fois que l’un d’eux levait la tête, le capitaine Pamphile voyait luire dans l’ombre deux charbons ardents, et, comme le désappointement était général, il y avait des moments où ces têtes se dressant à la fois, la terre semblait semée d’escarboucles mouvantes qui, en se croisant, enlaçaient des chiffres étranges et diaboliques…

Mais bientôt, à force de regarder fixement le même point, ses yeux se troublèrent ; aux formes réelles succédèrent des formes fantastiques ; son intelligence elle-même, tant soit peu brouillée par l’effet d’un trouble qui lui avait été jusqu’alors à peu près inconnu, cessa de se rendre compte du danger réel pour rêver des dangers surhumains. Une foule d’êtres qui n’étaient ni hommes ni animaux, lui apparurent en place des quadrupèdes bien connus qui s’agitaient au-dessous de lui ; il lui sembla voir surgir des démons aux regards de flamme, qui se tenaient par la main et dansaient autour de lui la danse satanique ; à cheval sur sa branche comme une sorcière sur son manche à balai, il se voyait le centre d’un sabbat infernal où il était appelé à jouer son rôle.

Le capitaine sentit instinctivement que le vertige l’attirait en bas, et que, s’il obéissait à cette attraction, il était perdu ; il rassembla toutes ses forces de corps et d’esprit dans un dernier acte d’intelligence, se lia fortement au tronc de l’arbre avec la corde qui maintenait autour de ses reins la peau de castor, et, se cramponnant de ses deux mains à la branche supérieure, il renversa la tête en arrière et ferma les yeux.