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15 centimes le Numéro
21 Avril 1859
No 6

LE CAUCASE
JOURNAL DE VOYAGES ET ROMANS
PARAISSANT TOUS LES JOURS

Nous commençons notre publication par le voyage d’ALEXANDRE DUMAS au Caucase.
Cet ouvrage, entièrement inédit, sera complet en trente numéros pour lesquels on peut s’abonner à l’avance.
En vente chez Delavier, rue Notre-Dame-des-Victoires, 11

Pendant que le lieutenant-colonel Coignard nous donnait ces détails, on vint lui dire quelques mots à l’oreille.

Il se mit à rire.

— Permettez-vous, me demanda-t-il, que je reçoive ici la personne qui a affaire à moi ? Vous serez témoin d’un détail de mœurs qui ne sera pas sans intérêt pour vous.

— Comment donc ! répondis-je, faites entrer.

Une femme tatare, enveloppée de manière qu’on ne lui vit que les yeux, descendit de cheval à la porte de la rue et bientôt parut à celle de l’appartement.

Reconnaissant le colonel à son uniforme, elle alla droit à lui.

Le colonel était assis derrière une table.

La femme tatare s’arrêta de l’autre côté de la table, ouvrit un petit sac qu’elle portait à là ceinture et en tira deux oreilles.

Avec le bout de sa canne, le colonel s’assura que les deux oreilles étaient bien deux oreilles droites. Il prit une plume, du papier et de l’encre, et donna un bon de vingt roubles.

Puis, en langue tatare :

— Chez le trésorier, dit-il, en repoussant les deux oreilles du bout de sa canne.

L’amazone remit les oreilles et le billet dans son sac, remonta à cheval et partit au galop pour aller toucher les vingt roubles chez le trésorier.

Il y avait une prime de dix roubles par tête de montagnard coupée. Le prince Mirsky, à qui répugnaient sans doute ces sanglants trophées, décida qu’il suffirait d’apporter désormais l’oreille droite.

Mais il ne put obtenir de ses chasseurs de se conformer à cette innovation ; depuis qu’ils ont affaire aux Tatars, ils ont