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Page:Dumas - Le Caucase, 1859.djvu/58

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le caucase

Le nom du prince Dundukof-Korsakoff était un de ces noms-là.

Nous ne lui fîmes pas même demander où nous pouvions descendre. Déjà habitués à l’hospitalité russe, la plus large, la plus splendide des hospitalités, nous allâmes droit chez lui.

Nous vîmes au milieu des casernes du régiment des dragons de Nidjni-Novogorod un grand bâtiment splendidement éclairé ; nous devinâmes que c’était le logement du prince et nous nous fîmes conduire au perron.

Les domestiques vinrent à nous comme si nous étions attendus, et de notre côté nous descendîmes comme si nous étions invités.

Au milieu du premier salon un officier supérieur vint au-devant de nous. Ne connaissant pas le prince, je le pris pour lui et lui adressai mon compliment.

Il m’arrêta court : il n’était pas le prince, mais son successeur, le comte Nostitz.

Le prince venait d’être nommé général, et le comte Nostitz le remplaçait comme colonel des dragons de Nidjni-Novogorod.

C’était donc lui qui nous offrait l’hospitalité.

Le prince était prévenu de notre arrivée et allait venir.

Le comte Nostitz n’avait pas achevé, que le prince s’avançait une main tendue et ouverte.

La seconde était en écharpe : une blessure reçue dans la dernière expédition du prince contre les Tchetchens la forçait à l’inaction.

C’était bien l’homme que je m’étais figuré : l’œil fier, la bouche souriante, le visage ouvert.

Nous entrâmes dans le second salon, tout tendu de magnifiques tapis de Perse apportés de Tiflis par le comte Nostitz.

Le prince était prévenu de notre arrivée par un courrier qui lui avait été expédié de Kasafiourte.

La première chose qui attira nos regards dans le grand salon fut un tableau d’assez grande tournure, représentant un chef circassien défendant avec ses hommes la cime d’une montagne.

Je demandai qui il était pour qu’on lui fît les honneurs d’un tableau.

C’était Hadji-Mourad.

Ce même Hadji-Mourad, vous vous le rappelez, cher lecteur, que nous avons vu figurer comme acteur dans le grand drame de la mort de Gamsag-Beg.

En effet, Hadji-Mourad est un des noms les plus populaires du Caucase. C’est un héros de légende. Plus les années s’écouleront, plus son spectre grandira.

Après l’avénement de Chamyll à l’imamat, il se brouilla ou fit semblant de se brouiller avec Chamyll, pour entrer au service de la Russie. En 1835 et 1836, il était officier de milice.

Le commandant de la forteresse de Kuntzack, le colonel Lazareff, crut alors s’apercevoir qu’il avait des communications avec Chamyll. Il le fit arrêter, et ordonna qu’il fût conduit sous bonne escorte à Tiflis.

Arrivé au sommet d’une montagne où l’on faisait halte pour quelques instants, il s’approche à cheval des faisceaux de fusils, arrache un fusil aux faisceaux, une cartouchière à un soldat, et s’élance dans le précipice.

En tombant, il se casse les deux jambes.

Les soldats reçoivent l’ordre de le poursuivre ; quatre s’élancent à leur tour dans le ravin ; lui, tout en rampant, fait feu quatre fois, tue les quatre soldats, et va rejoindre Chamyll.

C’est avec son concours que Chamyll reprit Kuntzack et accomplit cette fameuse campagne de 1843, si fatale aux Russes.

Mais vers la fin de 1851, Chamyll l’ayant accusé d’avoir fait manquer une de ses expéditions, il se brouilla de nouveau avec lui, et alla se mettre, à Tiflis, sous la protection du comte Woronzoff.

Mais là, les mêmes soupçons qui s’étaient élevés contre lui à Kuntzack, se renouvellent. Le comte Woronzoff, convaincu qu’il vient purement et simplement pour étudier le pays, lui donne une escorte d’honneur qui n’est pas autre chose qu’une garde.

La probabilité est que Hadji-Mourad, qui avait de grandes relations avec les Lesguiens, voulait gagner la forteresse de Zaka-Tali, et se faire indépendant tout à la fois des Russes et de Chamyll.

Vers le commencement du mois d’avril 1852, il vint à Nouka. Le prince Tarkanoff, commandant de la ville, était prévenu ; il donna l’ordre de veiller plus sévèrement que jamais sur lui.

Le 29, Hadji-Mourad sortit accompagné d’un soldat, d’un officier de police et de trois Cosaques.

À peine hors de la ville, il tue le soldat d’un coup de pistolet, l’officier de police d’un coup de kangiar, et de la même arme blesse mortellement un Cosaque.

Les deux autres se sauvent et viennent donner l’alarme au prince Tarkanoff.

Aussitôt le prince se met à la tête de tout ce qu’il peut rassembler d’hommes, et poursuit Hadji-Mourad.

Le lendemain, il le rejoint entre Beladjik et Kach.

Hadji-Mourad avait fait halte dans une forêt avec son nouker.

On enveloppe la forêt et l’on fait feu sur lui.

À ce premier feu, le nouker tombe roide mort.

Restait Hadji-Mourad.

Il tue quatre hommes, en blesse seize, brise son sabre contre un arbre et tombe atteint de six blessures.

On lui coupa la tête à la place même ; à Zakalan on embauma cette tête, puis on la transporta à Tiflis.

J’ai un dessin de cette tête coupée pris sur nature.

C’était cet homme dont le portrait se trouve dans le salon du comte Nostitz.

Voici à quelle occasion ce portrait fut fait.

Poursuivi par les troupes russes, Hadji-Mourad se retrancha à Kartma-Tala, sur les bords de la mer Caspienne. Il avait huit cents hommes avec lui.

On avait de différents points acheminé des troupes vers Kartma-Tala, et entre autres, les dragons de Nidjni ; deux escadrons l’atteignirent, et sans attendre l’infanterie, mirent pied à terre, et conduits par le major Zolotoukine, montèrent à l’assaut et attaquèrent la redoute. Sur cent quarante hommes, quatre-vingts tombèrent avant d’atteindre les montagnards, sur sept officiers, six.