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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

— L’heure passerait, dit-il enfin ; toute seconde a son utilité. Allons, madame, êtes-vous prête ?

— Je vous l’ai dit, monsieur, répondit Geneviève avec le calme des martyrs, j’attends !

Dixmer rassembla tous ses papiers, alla voir si les portes étaient bien closes, si personne ne pouvait entrer dans le greffe ; puis il voulut réitérer ses instructions à sa femme.

— Inutile, monsieur, dit Geneviève, je sais parfaitement ce que j’ai à faire.

— Alors, adieu !

Et Dixmer lui tendit la main, comme si, à ce moment suprême, toute récrimination devait s’effacer devant la grandeur de la situation et la sublimité du sacrifice.

Geneviève, en frémissant, toucha du bout des doigts la main de son mari.

— Placez-vous près de moi, madame, dit Dixmer, et, aussitôt que j’aurai frappé Gilbert, passez.

— Je suis prête.

Alors, Dixmer serra dans sa main droite son large poignard, et, de la gauche, il heurta à la porte.


CHAPITRE XLIV

les préparatifs du chevalier de maison-rouge.



P endant que la scène décrite dans le chapitre précédent se passait à la porte du greffe donnant dans la prison de la reine, ou plutôt dans la première chambre occupée par les deux gendarmes, d’autres préparatifs se faisaient au côté opposé, c’est-à-dire dans la cour des femmes.

Un homme apparaissait tout à coup comme une statue de pierre qui se serait détachée de la muraille. Cet homme était suivi de deux chiens, et, tout en fredonnant le Ça ira, chanson fort à la mode à cette époque, il avait, d’un coup de trousseau de clefs qu’il tenait à la main, raclé les cinq barreaux qui fermaient la fenêtre de la reine.

La reine avait tressailli d’abord ; mais, reconnaissant la chose pour un signal, elle avait aussitôt ouvert doucement sa fenêtre et s’était mise à la besogne d’une main plus expérimentée qu’on n’aurait pu le croire, car plus d’une fois, dans l’atelier de serrurerie où son royal époux s’amusait autrefois à passer une partie de ses journées, elle avait de ses doigts délicats touché des instruments pareils à celui sur lequel, à cette heure, reposaient toutes ses chances de salut.

Dès que l’homme au trousseau de clefs entendit la fenêtre de la reine s’ouvrir, il alla frapper à celle des gendarmes.

— Ah ! ah ! dit Gilbert en regardant à travers les carreaux, c’est le citoyen Mardoche.

— Lui-même, répondit le guichetier. Eh bien, mais, il paraît que nous faisons bonne garde ?

— Comme d’habitude, citoyen porte-clefs. Il me semble que vous ne nous trouvez pas souvent en défaut.

— Ah ! dit Mardoche, c’est que cette nuit la vigilance est plus nécessaire que jamais.

— Bah ! dit Duchesne, qui s’était approché.

— Certainement.

— Qu’y a-t-il donc ?

— Ouvrez la fenêtre, et je vous conterai cela.

— Ouvre, dit Duchesne.

Gilbert ouvrit et échangea une poignée de main avec le porte-clefs, qui s’était déjà fait l’ami des deux gendarmes.

— Qu’y a-t-il donc, citoyen Mardoche ? répéta Gilbert.

— Il y a que la séance de la Convention a été un peu chaude. L’avez-vous lue ?

— Non. Que s’est-il donc passé ?

— Ah ! il s’est passé d’abord que le citoyen Hébert a découvert une chose.

— Laquelle ?

— C’est que les conspirateurs que l’on croyait morts sont vivants et très vivants.

— Ah ! oui, dit Gilbert : Delessart et Thierry ; j’ai entendu parler de cela ; ils sont en Angleterre, les gueux.

— Et le chevalier de Maison-Rouge ? dit le porte-clefs en haussant la voix de manière à ce que la reine l’entendît.

— Comment ! il est en Angleterre aussi, celui-là ?