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Le Collier de la reine

tention de ce rusé politique. Monsieur de Suffren arrive, nul ne le sait à la cour. Monsieur de Suffren est le héros des mers de l’Inde, et, par conséquent, a droit à une réception magnifique à Versailles. Donc, monsieur de Suffren arrive ; le roi ignore son arrivée, le roi le néglige sans le savoir, et, par conséquent, sans le vouloir ; vous de même, ma sœur. Tout au contraire, pendant ce temps, monsieur de Provence, qui sait l’arrivée de monsieur de Suffren, lui, monsieur de Provence accueille le marin, lui sourit, le caresse, lui fait un quatrain, et, en se frottant au héros de l’Inde, il devient le héros de la France,

— C’est clair, dit la reine.

— Pardieu ! dit le comte.

— Vous n’oubliez qu’un seul point, mon cher gazetier.

— Lequel ?

— Comment savez-vous tout ce beau projet de notre cher frère et beau-frère ?

— Comment je le sais, comme je sais tout ce qu’il fait. C'est bien simple : m’étant aperçu que monsieur de Provence prend à tâche de savoir tout ce que je fais, j’ai payé des gens qui me content tout ce qu’il fait, lui. Oh ! cela pourra m’être utile, et à vous aussi, ma sœur.

— Merci de votre alliance, mon frère, mais le roi ?

— Eh bien ! le roi est prévenu.

— Par vous ?

— Oh ! non pas, par son ministre de la marine que je lui ai envoyé. Tout cela ne me regarde pas, vous comprenez, moi, je suis trop frivole, trop dissipateur, trop fou, pour m’occuper de choses de cette importance.

— Et le ministre de la marine ignorait aussi, lui, l’arrivée de monsieur de Suffren en France ?

— Eh ! mon Dieu ! ma chère sœur, vous avez connu assez de ministres, n’est-ce pas, depuis quatorze ans que vous êtes ou dauphine ou reine de France, pour savoir que ces messieurs ignorent toujours la chose importante. Eh bien ! j’ai prévenu le nôtre et il est enthousiasmé.

— Je le crois bien.

— Vous comprenez, chère sœur, voilà un homme qui