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Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 3.djvu/97

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querelle et se sera battu en duel. Tous ces anciens soldats se portent à des excès qui leur réussissaient sous l’Empire, mais qui tournent mal pour eux maintenant ; or, nos gens du Midi n’aiment ni les soldats, ni les excès.

— « Monsieur, repris-je, ce n’est pas pour moi que je vous prie. Moi, je pleurerai ou je me vengerai, voilà tout ; mais mon pauvre frère avait une femme. S’il m’arrivait malheur à mon tour, cette pauvre créature mourrait de faim, car le travail seul de mon frère la faisait vivre. Obtenez pour elle une petite pension du gouvernement.

— « Chaque révolution a ses catastrophes, répondit M. de Villefort ; votre frère a été victime de celle-ci, c’est un malheur, et le gouvernement ne doit rien à votre famille pour cela. Si nous avions à juger toutes les vengeances que les partisans de l’usurpateur ont exercées sur les partisans du roi quand à leur tour ils disposaient du pouvoir, votre frère serait peut-être aujourd’hui condamné à mort. Ce qui s’accomplit est chose toute naturelle, car c’est la loi des représailles.

— « Eh quoi ! monsieur, m’écriai-je, il est possible que vous me parliez ainsi, vous, un magistrat !…

— « Tous ces Corses sont fous, ma parole d’honneur ! répondit M. de Villefort, et ils croient encore que leur compatriote est empereur. Vous vous trompez de temps, mon cher ; il fallait venir me dire cela il y a deux mois. Aujourd’hui il est trop tard ; allez-vous-en donc, et si vous ne vous en allez pas, moi, je vais vous faire reconduire. »

Je le regardai un instant pour voir si par une nouvelle supplication il y avait quelque chose à espérer.

Cet homme était de pierre. Je m’approchai de lui :

— « Eh bien, lui dis-je à demi voix, puisque vous connaissez les Corses, vous devez savoir comment ils