Page:Dumas - Le Fils du forçat.djvu/95

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– Tenez, monsieur, dit mademoiselle Riouffe en l’interrompant avec vivacité, la confiance appelle la confiance. Je ne vous connais que depuis quelques instants ; mais, dans les circonstances graves où nous nous trouvons, en raison de la requête que je vous présente, je crois que je n’ai qu’à gagner à être mieux connue de vous, et je tiens à vous expliquer pourquoi vous me trouvez dans ce bureau une plume entre les doigts, au milieu de ces échantillons de coton et de sucre, et devant ce gros livre, au lieu d’être dans mon salon un ouvrage de femme à la main. Mon frère était plus jeune que moi d’une année lorsque nous avons perdu nos parents. Nous nous trouvions, lui à vingt, moi à vingt et un ans, à la tête d’une maison qui nécessitait une grande assiduité pour conserver la prospérité qui jusqu’alors l’avait favorisée. Malheureusement, pendant la longue maladie de mon père, la surveillance que l’on doit exercer sur un jeune homme s’était un peu relâchée, et, lorsque nous fûmes orphelins, il avait pris goût à l’indépendance et aux plaisirs, qu’il est si difficile d’allier avec les devoirs du commerçant. J’essayai quelques réprimandes ; mais je l’aime, monsieur, et, quelles que fussent les fautes que j’avais à lui reprocher, mon visage ne savait pas s’armer de la sévérité qui eût été si nécessaire. Déjà nos affaires périclitaient sensiblement ; j’entrevoyais l’abîme que le