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LE MAITRE D’ARMES

— La guerre, pardieu !

À cette déclaration du héraut subalterne, le Cosaque, sans répondre, pique des deux dans la direction de Vilna, et disparaît comme une vision nocturne. Trois coups de feu le poursuivent sans l’atteindre. Napoléon tressaille à ce bruit : la campagne est ouverte.

L’empereur ordonne aussitôt à trois cents voltigeurs de traverser le fleuve pour protéger l’établissement des ponts ; en même temps des officiers d’ordonnance sont envoyés sur tous les points. Alors les masses françaises s’ébranlent dans l’obscurité et s’avancent, cachées par les bois et se courbant dans les seigles ; la nuit est si profonde que les têtes de colonne sont arrivées à deux cents pas du fleuve sans être aperçues de Napoléon ; il entend seulement un bruit sourd pareil à celui d’un ouragan qui s’approche ; il s’élance de ce côté ; le mot halte ! répété à voix basse, s’étend sur toute la ligue ; on n’allume aucun feu, le silence est ordonné, chacun se couchera à son rang, le fusil sur le bras. À deux heures du matin, les trois ponts étaient jetés.

Le jour paraît, la rive gauche du Niémen est couverte d’hommes, de chevaux et de voitures ; la rive droite est déserte et morne ; le terrain lui-même, en devenant russe, semble changer d’aspect. Tout ce qui n’est pas forêt sombre est un sable aride.

L’empereur sort de sa tente, placée au sommet de la colline la plus élevée et au centre de cette multitude ; aussitôt les ordres sont donnés, les aides de camp s’élancent vers les points désignés, divergeant comme les rayons d’une étoile. Presque en même temps ces masses confuses s’ébranlent, se réunissent par corps d’armée, s’allongent en colonnes, et, se tordant selon la sinuosité du terrain, semblent autant de rivières qui descendent vers le fleuve.

Au moment où les trois avant-gardes mettaient le pied sur le territoire russe, l’empereur Alexandre acceptait un bal qu’on lui donnait à Vilna, et dansait avec madame Barclay de Tolly, dont le mari commandait en chef son armée. Il avait appris à minuit, par l’officier de Cosaques qu’avaient rencontré nos sapeurs, l’arrivée de l’armée française sur le Niémen, mais il n’avait pas voulu interrompre la fête.

À peine l’avant-garde a-t-elle mis le pied, par le triple pas-