– Amenez votre chèvre, mon ami ! amenez votre chèvre !
Le sabotier entra dans l’étable et tira derrière lui l’animal, qui le suivait en bêlant.
– Tenez-la ferme par les cornes, dit le petit valet du chenil, et soulevez-lui la patte de devant.
Et, en parlant ainsi, l’apprenti veneur avait tiré de sa gaine le petit couteau qu’il portait à la ceinture et l’aiguisait soigneusement à la meule où Thibault repassait ses outils.
– Que comptez-vous donc faire ? demanda le sabotier, assez inquiet de ces préparatifs.
– Comment ! dit Engoulevent, ne savez-vous donc pas qu’il y a dans le cœur des chèvres un petit os en croix qui, mis en poudre et broyé, est souverain contre les coups de sang ?
– Vous voulez tuer ma chèvre ! s’exclama Thibault en lâchant tout à la fois la corne et la patte de la pauvre bête ; mais je ne veux pas qu’on la tue, moi !
– Ah ! fi ! dit Engoulevent ; ce n’est pas joli, ce que vous dites là, monsieur Thibault ! Pouvez-vous mettre en parallèle l’existence de notre bon seigneur avec celle de cette misérable bique ? Vrai, j’en rougis pour vous.
– Vous en parlez bien à votre aise. Cette chèvre, c’est toute ma fortune, tout mon bien. Elle me donne son lait, et j’y tiens.
– Ah ! monsieur Thibault, bien certainement que vous ne pensez pas un mot de ce que vous dites là, – et, par bonheur, le seigneur baron ne vous entend pas ; – sans quoi, il aurait le cœur navré de voir sa précieuse santé ainsi marchandée par un vilain.
– D’ailleurs, dit un des piqueurs en riant d’un rire narquois, si maître Thibault estime sa chèvre un prix que monseigneur puisse seul lui payer, rien ne l’em-