Page:Dumas - Le Meneur de loups (1868).djvu/164

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Et maître Magloire ajoutait résolument que, tout vieux qu’il était, si sa femme venait à mourir, un cinquième mariage ne l’effrayerait pas le moins du monde.

En passant du chambertin à l’ermitage et en alternant avec du sillery, maître Magloire en vint à parler des qualités de sa femme.

Ce n’était point la douceur en personne, non, il s’en fallait du tout au tout ; elle contrariait un peu l’admiration de son époux pour les différents vins de France ; elle s’opposait par tous les moyens possibles, et souvent même physiquement, à ses trop fréquentes visites au cellier ; elle affectionnait, de son côté, plus qu’il n’était agréable pour un partisan du sans-gêne, les chiffons, les bavolets, les points d’Angleterre et autres fanfreluches faisant partie de l’arsenal militaire des femmes ; elle eût volontiers mis, à ses bras en dentelles et à son cou en colliers, les douze muids de vin qui faisaient le fonds de la cave de son époux, si maître Magloire eût été homme à permettre leur métamorphose ; mais, à cela près, il n’était pas une vertu que Suzanne ne possédât, et ses vertus étaient portées, s’il fallait en croire le bailli, sur des jambes si parfaites, que, si par malheur elle en perdait une, il serait impossible d’appareiller dans tout le canton celle qui lui resterait.

Le bonhomme ressemblait aux baleines franches : il soufflait son bonheur par tous ses évents, comme celles-ci font de l’eau de la mer.

Mais, avant même qu’il fût instruit de toutes ses secrètes perfections, que le bon bailli, comme un autre roi Candaule, était tout prêt à révéler au moderne Gygès, la beauté de la baillive avait produit sur notre sabotier une si profonde impression, qu’il en était resté, nous l’avons vu, rêveur pendant toute la route, et que, depuis qu’il était à table, rêvant toujours à