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— Je ne sais pas si vous connaissez le parlement ?

— En grande partie. C’est un président quelconque ?

— Non ; un simple conseiller.

— Ah ! ah !

— Qui s’appelle Vanel.

Aramis devint pourpre.

— Vanel ! s’écria-t-il en se relevant ; Vanel ! le mari de Marguerite Vanel ?

— Précisément.

— De votre ancienne maîtresse ?

— Oui, mon cher ; elle a désiré d’être madame la procureuse générale. Je lui devais bien cela, au pauvre Vanel, et j’y gagne puisque c’est encore faire plaisir à sa femme.

Aramis vint droit à Fouquet et lui prit la main.

— Vous savez, dit-il avec sang-froid, le nom du nouvel amant de madame Vanel ?

— Ah ! elle a un nouvel amant ? Je l’ignorais ; et, ma foi, non, je ne sais pas comment il se nomme.

— Il se nomme M. Jean-Baptiste Colbert ; il est intendant des finances ; il demeure rue Croix-des-Petits-Champs, là où madame de Chevreuse est allée, ce soir avec les lettres de Mazarin qu’elle veut vendre.

— Mon Dieu ! murmura Fouquet en essuyant son front ruisselant de sueur, mon Dieu !

— Vous commencez à comprendre, n’est-ce pas ?

— Que je suis perdu, oui.

— Trouvez-vous que cela vaille la peine de tenir un peu moins que Régulus à sa parole ?

— Non, dit Fouquet.

— Les gens entétés, murmura Aramis, s’arrangent toujours de façon qu’on les admire.

Fouquet lui tendit la main.

À ce moment, une riche horloge d’écaille, à figures d’or, placée sur une console en face de la cheminée, sonna six heures du matin.

Une porte cria dans le vestibule.

— M. Vanel, vint dire Gourville à la porte du cabinet, demande si Monseigneur peut le recevoir.

Fouquet détourna ses yeux des yeux d’Aramis et répondit :

— Faites entrer M. Vanel.

CLXXXVIII

LA MINUTE DE M. COLBERT


Vanel, entrant à ce moment de la conversation, n’était rien autre chose pour Aramis et Fouquet que le point qui termine une phrase.

Mais, pour Vanel qui arrivait, la présence d’Aramis dans le cabinet de Fouquet devait avoir une bien autre signification.

Aussi l’acheteur, à son premier pas dans la chambre, arrêta-t-il sur cette physionomie, à la fois si fine et si ferme de l’évêque de Vannes, un regard étonné qui devint bientôt scrutateur.

Quant à Fouquet, véritable homme politique, c’est-à-dire maître de lui-même, il avait déjà, par la force de sa volonté, fait disparaître de son visage les traces de l’émotion causée par la révélation d’Aramis.

Ce n’était donc plus un homme abattu par le malheur et réduit aux expédients ; il avait redressé la tête et allongé la main pour faire entrer Vanel.

Il était premier ministre, il était chez lui.

Aramis connaissait le surintendant. Toute la délicatesse de son cœur, toute la largeur de son esprit n’avaient rien qui pût l’étonner. Il se borna donc, momentanément, quitte à reprendre plus tard une part active dans la conversation, au rôle difficile de l’homme qui regarde et qui écoute pour apprendre et pour comprendre.

Vanel était visiblement ému. Il s’avança jusqu’au milieu du cabinet, saluant tout et tous.

— Je viens… dit-il.

Fouquet fit un signe de tête.

— Vous êtes exact, monsieur Vanel, dit-il.

— En affaires, Monseigneur, répondit Vanel, je crois que l’exactitude est une vertu.

— Oui, Monsieur.

— Pardon, interrompit Aramis, en désignant du doigt Vanel et s’adressant à Fouquet ; pardon, c’est Monsieur qui se présente pour acheter une charge, n’est-ce pas ?

— C’est moi, répondit Vanel, étonné du ton de suprême hauteur avec lequel Aramis avait fait la question. Mais comment dois-je appeler celui qui me fait l’honneur ?…

— Appelez-moi monseigneur, répondit sèchement Aramis.

Vanel s’inclina.

— Allons, allons, Messieurs, dit Fouquet, trêve de cérémonies ; venons au fait.

— Monseigneur le voit, dit Vanel, j’attends son bon plaisir.

— C’est moi qui, au contraire, attendais, répondit Fouquet.

— Qu’attendait Monseigneur ?

— Je pensais que vous aviez peut-être quelque chose à me dire.

— Oh ! oh ! murmura Vanel en lui-même, il a réfléchi ; je suis perdu !

Mais, reprenant courage :

— Non, Monseigneur, rien, absolument rien que ce que je vous ai dit hier et que je suis prêt à vous répéter.

— Voyons, franchement, monsieur Vanel, le marché n’est-il pas un peu lourd pour vous, dites ?

— Certes, Monseigneur, quinze cent mille livres, c’est une somme importante.

— Si importante, dit Fouquet, que j’avais réfléchi…

— Vous aviez réfléchi, Monseigneur ? s’écria vivement Vanel.

— Oui, que vous n’êtes peut-être pas encore en mesure d’acheter.

— Oh ! Monseigneur !…

— Tranquillisez-vous, monsieur Vanel, je ne vous blâmerai pas d’un manque de parole qui tiendra évidemment à votre impuissance.

— Si fait, Monseigneur, vous me blâmeriez, et vous auriez raison, dit Vanel ; car c’est d’un imprudent ou d’un fou de prendre des engage-