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OTHON L’ARCHER

Le temps fixé s’écoula, Emma avait atteint sa quinzième année, et elle avait continué de fleurir, au milieu de ses larmes, et dans son île sainte, comme une de ces fraîches roses des eaux qui flottent à la surface des lacs, tout étincelantes de rosée. Ludwig rappela au vieux landgrave l’engagement pris par la douairière et ratifié par sa fille : c’est que depuis un an le jeune homme avait constamment dirigé ses promenades vers le Rolandwerth, jolie colline qui domine le fleuve et du haut de laquelle on voit, étendue au-dessous de soi et coupant le courant comme ferait la proue d’un vaisseau, l’île gracieuse au milieu de laquelle s’élève encore aujourd’hui le monastère devenu une auberge.

Là il passait des heures entières les yeux fixés sur le cloître, car souvent une jeune fille qu’il reconnaissait à son habit de novice qu’elle devait quitter bientôt, venait elle-même s’asseoir sous les arbres qui bordent le Rhin, et là, restait des heures entières immobile et plongée dans une rêverie qui avait peut-être pour cause le même objet qui attirait Ludwig. Il n’était donc pas étonnant que le jeune homme se souvînt le premier que le deuil était expiré et qu’il rappelât au landgrave, que, par un hasard favorable, cette époque correspondait avec celle fixée pour la célébration de son mariage.

Par une espèce de convention tacite, chacun regardait Albert, qui avait alors vingt ans à peine, mais qui