Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/128

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rible où les rois vont à Dieu, seuls, sans amis, sans garde et sans couronne.

Henri III avait été cruellement frappé : tout ce qu’il aimait était successivement tombé autour de lui. Après Schomberg, Quélus et Maugiron, tués en duel par Livarot et Antraguet, Saint-Mégrin avait été assassiné par M. de Mayenne : les plaies étaient restées vives et saignantes… L’affection qu’il portait à ses nouveaux favoris, d’Épernon et Joyeuse, ressemblait à celle qu’un père qui a perdu ses meilleurs enfants reporte sur ceux qui lui restent : tout en connaissant parfaitement les défauts de ceux-ci, il les aime, il les ménage, il les garde pour ne donner sur eux aucune prise à la mort.

Il avait comblé de biens d’Épernon, et cependant il n’aimait d’Épernon que par soubresauts et par caprice ; en de certains moments même il le haïssait. C’est alors que Catherine, cette impitoyable conseillère en qui veillait toujours la pensée, comme la lampe dans le tabernacle ; c’est alors que Catherine, incapable de folies même dans sa jeunesse, prenait la voix du peuple pour fronder les affections du roi.

Jamais elle ne lui eût dit, quand il vidait le trésor pour ériger en duché la terre de La Valette et l’agrandir royalement, jamais elle ne lui eût dit :

— Sire, haïssez ces hommes qui ne vous aiment pas, ou, ce qui est bien pis, qui ne vous aiment que pour eux.

Mais voyait-elle le sourcil du roi se froncer, l’entendait-elle, dans un moment de lassitude, accuser d’Épernon d’avarice ou de couardise, elle trouvait aussitôt le mot inflexible qui résumait tous les griefs du peuple et de la royauté contre d’Épernon, et qui causait un nouveau sillon dans la haine royale.

D’Épernon, Gascon incomplet, avait pris, avec sa finesse et sa perversité natives, la mesure de la faiblesse royale ; il savait cacher son ambition, ambition vague, et dont le but lui était encore inconnu à lui-même ; seulement son avidité lui