Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/153

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çon de fine laine de Frise, et, le soulevant avec précaution, ils le glissèrent entre ses draps.

— Le lecteur de Sa Majesté ! cria une voix.

Car Henri, l’homme aux longues et cruelles insomnies, se faisait quelquefois endormir avec une lecture, et encore fallait-il maintenant du polonais pour accomplir le miracle, tandis qu’autrefois, c’est-à-dire primitivement, le français lui suffisait.

— Non, personne, dit Henri, pas de lecteur, ou qu’il lise des prières chez lui à mon intention. Seulement, si M. de Joyeuse rentre, amenez-le-moi.

— Mais s’il rentre tard, sire ?

— Hélas ! dit Henri, il rentre toujours tard ; mais à quelque heure qu’il rentre, vous entendez, amenez-le.

Les serviteurs éteignirent les cires, allumèrent près du feu une lampe d’essences qui donnaient des flammes pâles et bleuâtres, sorte de récréation fantasmagorique dont le roi se montrait fort épris depuis le retour de ses idées sépulcrales, puis ils quittèrent sur la pointe des pieds sa chambre silencieuse.

Henri, brave en face d’un danger véritable, avait toutes les craintes, toutes les faiblesses des enfants et des femmes. Il craignait les apparitions, il avait peur des fantômes, et cependant ce sentiment l’occupait. Ayant peur, il s’ennuyait moins, semblable en cela à ce prisonnier qui, ennuyé de l’oisiveté d’une longue détention, répondait à ceux qui lui annonçaient qu’il allait subir la question :

— Bon ! cela me fera toujours passer un instant.

Cependant, tout en suivant les reflets de sa lampe sur les murailles, tout en sondant du regard les angles les plus obscurs de sa chambre, tout en essayant de saisir les moindres bruits qui eussent pu dénoncer la mystérieuse entrée d’une ombre, les yeux de Henri, fatigués du spectacle de la journée et de la course du soir, se voilèrent, et bientôt il s’endormit ou plutôt s’engourdit dans ce calme et cette solitude.