Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/19

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menacé d’être écrasé par la foule, poussait des cris déchirants, lorsque l’inconnu allongea son grand bras, le saisit à la fois par sa fraise et par le collet de son pourpoint, et, l’enlevant, le transporta de l’autre côté de la haie avec la même facilité qu’il eût fait d’un enfant.

— Oh ! oh ! oh ! s’écria maître Miton, réjoui de ce spectacle, et suivant des yeux l’ascension et la descente de son ami maître Friard, vous avez l’air de l’enseigne du Grand-Absalon.

— Ouf ! s’écria Friard en touchant le sol, que j’aie l’air de tout ce que vous voudrez, me voilà de l’autre côté de la haie, et grâce à Monsieur.

Puis, se redressant pour regarder l’inconnu à la poitrine duquel il atteignait à peine :

— Ah ! Monsieur, continua-t-il, que d’actions de grâces ! Monsieur, vous êtes un véritable hercule, parole d’honneur, foi de Jean Friard ! Votre nom. Monsieur, le nom de mon sauveur, le nom de mon… ami ?

Et le brave homme prononça en effet ce dernier mot avec l’effusion d’un cœur profondément reconnaissant.

— Je m’appelle Briquet, Monsieur, répondit l’inconnu, Robert Briquet, pour vous servir.

— Et vous m’avez déjà considérablement servi, monsieur Robert Briquet, j’ose le dire ; oh ! ma femme vous bénira. Mais, à propos, ma pauvre femme ! Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! elle va être étouffée dans cette foule. Ah ! maudits Suisses, qui ne sont bons qu’à faire écraser les gens !

Le compère Friard achevait à peine cette apostrophe, qu’il sentit tomber sur son épaule une main lourde comme celle d’une statue de pierre.

Il se retourna pour voir quel était l’audacieux qui prenait avec lui une pareille liberté.

Cette main était celle d’un Suisse.

— Foulez-fous qu’on vous assomme, mon bedit ami ? dit le robuste soldat.