Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/193

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— Décidément, c’est inintelligible, se dit Chicot en promenant ses yeux actifs sur toute cette foule et sur les maisons du voisinage.

Tout ce que les maisons avaient d’habitants étaient à leurs fenêtres, sur le seuil de leurs maisons, ou mêlés aux groupes qui stationnaient devant la porte.

Maître Fournichon, sa femme et toute la suite des quarante-cinq, femmes, enfants et laquais, peuplaient les ouvertures de l’Épée du fier Chevalier.

Seule, la maison en face était sombre, muette comme un tombeau.

Chicot cherchait toujours des yeux le mot de cette indéchiffrable énigme, quand tout à coup il crut voir, sous l’auvent même de sa maison, à travers les fentes du plancher du balcon, un peu au-dessous de ses pieds, un homme tout enveloppé d’un manteau de couleur sombre, portant chapeau noir, plume rouge et longue épée, lequel, croyant n’être point vu, regardait de toute son âme la maison en face, cette maison déserte, muette et morte.

De temps en temps, le chef d’orchestre quittait son poste pour aller parler bas à cet homme.

Chicot devina bien vite que tout l’intérêt de la scène était là, et que ce chapeau noir cachait une figure de gentilhomme.

Dès lors toute son attention fut pour ce personnage : le rôle d’observateur lui était facile, sa position sur la rampe du balcon permettait à sa vue de distinguer dans la rue et sous l’auvent ; il réussit donc à suivre chaque mouvement du mystérieux inconnu, dont la première imprudence ne pouvait manquer de lui dévoiler les traits.

Tout à coup, et tandis que Chicot était tout absorbé dans ses observations, un cavalier, suivi de deux écuyers, parut à l’angle de la rue, et chassa énergiquement, à coups de houssine, les curieux qui s’obstinaient à faire galerie aux musiciens.