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— Merci, dit le cavalier ; mais je ne veux être servi par personne.

— Pas même par moi ? demanda le jeune homme avec un si étrange sourire que le cavalier sentit se fondre l’enveloppe glacée où il avait tenté d’enfermer son cœur.

— Je voulais dire que je ne pouvais pas être servi.

— Oui, je sais que vous n’êtes pas riche, monsieur Ernauton de Carmainges, dit le jeune page.

Le cavalier tressaillit ; mais, sans faire attention à ce tressaillement, l’enfant continua :

— Aussi ne parlerons-nous pas de gages, et c’est vous, au contraire, si vous m’accordez ce que je vous demande, qui serez payé, et cela au centuple des services que vous m’aurez rendus ; laissez-moi donc vous servir, je vous prie, en songeant que celui qui vous prie a ordonné quelquefois.

Le jeune homme lui serra la main, ce qui était bien familier pour un page ; puis se retournant vers le groupe de cavaliers que nous connaissons déjà :

— Je passe, moi, dit-il, c’est le plus important ; vous, Mayneville, tâchez d’en faire autant par quelque moyen que ce soit.

— Ce n’est pas tout que vous passiez, répondit le gentilhomme ; il faut qu’il vous voie.

— Oh ! soyez tranquille, du moment où j’aurai franchi cette porte, il me verra.

— N’oubliez pas le signe convenu.

— Deux doigts sur la bouche, n’est-ce pas ?

— Oui ; maintenant que Dieu vous aide !

— Eh bien ! fit le maître du cheval noir, mons le page, nous décidons-nous ?

— Me voici, maître, répondit le jeune homme, et il sauta légèrement en croupe derrière son compagnon, qui alla rejoindre les cinq autres élus occupés à exhiber leurs cartes et à justifier de leurs droits.