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Il y trouva l’hôte, qui n’avait pas encore repris son sang-froid et qui le laissa seller son cheval dans l’écurie, en le regardant avec le même ébahissement qu’il eût fait pour un fantôme.

Chicot profita de cette stupeur bienveillante pour ne pas payer sa dépense, que de son côté l’hôte se garda bien de réclamer.

Puis il alla achever sa nuit dans la grande salle d’une autre hôtellerie, au milieu de tous les buveurs, lesquels étaient bien loin de se douter que ce grand inconnu, au visage souriant et à l’air gracieux, tout en manquant d’être tué, venait de tuer deux hommes.

Le point du jour le trouva sur la route, en proie à des inquiétudes qui grandissaient d’instant en instant. Deux tentatives avaient échoué heureusement ; une troisième pouvait lui être funeste.

À ce moment il eût composé avec tous les Guisards, quitte à leur conter les bourdes qu’il savait si bien inventer.

Un bouquet de bois lui donnait des appréhensions difficiles à décrire ; un fossé lui faisait courir des frissons par tout le corps ; une muraille un peu haute était sur le point de le faire retourner en arrière.

De temps en temps il se promettait, une fois à Orléans, d’envoyer au roi un courrier pour demander de ville en ville une escorte.

Mais comme jusqu’à Orléans la route fut déserte et parfaitement sûre, Chicot pensa qu’il aurait inutilement l’air d’un poltron, que le roi perdrait sa bonne opinion de Chicot, et qu’une escorte serait bien gênante ; d’ailleurs cent fossés, cinquante haies, vingt murs, dix taillis avaient déjà été passés sans que le moindre objet suspect se fût montré sous les branches ou sur les pierres.

Mais, après Orléans, Chicot sentit ses terreurs redoubler ; quatre heures approchaient, c’est-à-dire le soir. La route était fourrée comme un bois, elle montait comme une échelle ;