Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/192

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Et Chicot, qui jusque-là s’était tenu sur la défensive, fit un pas en avant et attaqua à son tour.

— Voici le coup, dit Chicot : je fais une feinte en quarte basse.

Et il fit sa feinte. Borromée para en rompant ; mais, après ce premier pas de retraite, il fut forcé de s’arrêter, la cloison se trouvant derrière lui.

— Bien ! c’est cela, tu pares le cercle, c’est un tort, car mon poignet est meilleur que le tien ; je lie donc l’épée, je reviens en tierce haute, je me fends, tu es touché, ou plutôt tu es mort.

En effet, le coup avait suivi ou plutôt accompagné la démonstration, et la fine rapière, pénétrant dans la poitrine de Borromée, avait glissé comme une aiguille entre deux côtes et piqué profondément, et avec un bruit mat, la cloison de sapin.

Borromée étendit les bras et laissa tomber son épée ; ses yeux se dilatèrent sanglants, sa bouche s’ouvrit, une écume rouge parut sur ses lèvres, sa tête se pencha sur son épaule avec un soupir qui ressemblait à un râle ; puis ses jambes cessèrent de le soutenir, et son corps, en s’affaissant, élargit la coupure de l’épée, mais ne put la détacher de la cloison, maintenue qu’elle était contre la cloison par le poignet infernal de Chicot ; de sorte que le malheureux, semblable à un gigantesque phalène, resta cloué à la muraille que ses pieds battaient par saccades bruyantes.

Chicot, froid et impassible comme il était dans les circonstances extrêmes, surtout quand il avait au fond du cœur cette conviction qu’il avait fait tout ce que sa conscience lui prescrivait de faire, Chicot lâcha l’épée qui demeura plantée horizontalement, détacha la ceinture du capitaine, fouilla dans son pourpoint, prit la lettre et en lut la suscription :

Duchesse de Montpensier.