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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/114

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Les chiens hurlaient à faire pitié ; ils comprenaient, ces pauvres animaux, que, dans ces chasses-là, ils n’avaient rien à faire.

À peine en prenait-on un ou deux, choisis parmi les plus rudes jarrets de la troupe, pour les lâcher sur un lièvre blessé et menaçant de gagner la forêt.

Ceux-là avaient d’ordinaire un homme spécialement attaché à leur service, et, à part les courts moments où ils étaient lâchés, demeuraient rigoureusement en laisse.

La chasse commençait à la sortie de la ferme. M. Moquet expliqua au chef rabatteur le plan général de la journée, se réservant de lui faire connaître, à son moment, le plan particulier de chaque battue.

Je fus placé à cent pas de la ferme, dans un ravin sablonneux ; les enfants, en jouant, avaient-creusé un grand trou dans le sable. M. Moquet m’indiqua ce trou, et m’invita à m’y blottir, m’affirmant que, si je ne bougeais pas, les lièvres viendraient m’y réchauffer les pieds.

Je n’avais pas grande confiance dans la localité. Cependant, comme M. Moquet commandait en chef l’expédition, il n’y avait pas d’observation à faire. Je m’affaissai dans ma cachette, quitte à en sortir comme une surprise, si l’occasion se présentait.

Le rabat commença. Aux premiers cris poussés par les rabatteurs, deux ou trois lièvres se levèrent, et, après avoir balancé un moment pour savoir quel chemin suivre, ils se mirent, comme les trois Curiaces, à prendre, à distances inégales les uns des autres, la route de mon ravin.

J’avoue que, lorsque je les vis venir à moi aussi directement que s’ils se fussent, en effet, donné rendez-vous dans le trou où j’étais caché, un éblouissement me passa sur les yeux. À travers cette espèce de voile étendu entre eux et moi, je les voyais s’avancer rapidement ; et, à mesure qu’ils s’avançaient, mon cœur battait plus fort. Il faisait six degrés au-dessous de zéro, et l’eau me coulait sur le front. Enfin, celui qui faisait tête de colonne parut prendre résolument le parti de me charger, et vint droit à moi. Depuis le moment de son départ, je le