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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Elle alla chez M. Deviolaine, et l’on m’y mena. Comme la dernière fois que j’étais entré dans la maison, il y avait nombreuse compagnie, force sabres et épaulettes à table. Seulement, cette fois, c’étaient des sabres et des épaulettes russes.

D’ailleurs, la même langue, les mêmes manières, plus polies peut-être, voilà tout.

Je ne comprenais pas que ce fût cela que l’on appelait l’ennemi.

C’est que l’ennemi, ce n’est pas l’homme, c’est le principe. Ma mère et M. Collard causèrent encore. M. Collard partait le lendemain pour Paris ; il promit, à son tour, de passer à la maison avant que de partir.

Le soir, en entrant, ma mère me prit à part, et, avec un visage aussi tendre, mais plus solennel que de coutume :

— Mon ami, me dit-elle, le comte d’Artois, qui a été nommé lieutenant général du royaume ; Louis XVIII, qui vient d’être nommé roi de France, sont tous deux les frères du roi Louis XVI. Ton grand-père, le marquis de la Pelleterie, a servi Louis XVI, comme ton père a servi la République. Voyons, maintenant, écoute bien ceci, car, probablement, tout ton avenir va dépendre de la résolution que nous allons prendre. — Veux-tu t’appeler Davy de la Pailleterie, comme ton grand-père ? Alors tu es le petit-fils du marquis Davy de la Pailleterie, gentilhomme de la chambre de M. le prince de Conti, et commissaire général d’artillerie ; on obtient pour toi une bourse, ou bien tu entres dans les pages, et, en tout cas, tu as une position faite auprès de la famille régnante. — Veux-tu t’appeler Alexandre Dumas tout simplement et tout court, comme ton père ? Alors tu es le fils du général républicain Alexandre Dumas, et devant toi toute carrière est fermée ; car, au lieu d’avoir servi ceux qui régnent, comme ton grand-père, ton père a servi contre eux !… M. Collard part aujourd’hui pour Paris ; il connaît M. de Talleyrand, qui était du Corps législatif avec lui ; il connaît le duc d’Orléans ; il connaît enfin beaucoup de gens de la nouvelle cour. Selon ce que tu décideras toi-même, il va agir. Réfléchis bien avant que de répondre.