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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/27

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Oh ! il n’y a pas besoin de réfléchir, ma mère ! m’écriai-je ; je m’appelle Alexandre Dumas, et pas autrement. J’ai connu mon père, et je n’ai pas connu mon grand-père ; que penserait donc mon père, qui est venu me dire adieu au moment de sa mort, si je le reniais, lui, pour m’appeler comme mon grand-père ?

Le visage de ma mère rayonna.

— C’est bien ton avis ? dit-elle.

— Et c’est le tien aussi, n’est-ce pas, mère ?

— Hélas ! oui ; mais qu’allons-nous devenir ?

— Bah ! lui dis-je, tu oublies que j’explique le De viris, et que, par conséquent, je sais ce que veut dire la devise de mon père : Deus dedit, Deus dabit. Dieu a donné, Dieu donnera.

— Allons, allons, dit ma mère, va te coucher là-dessus, mon enfant ; tu me fais bien enrager quelquefois, mais, au fond, je suis sûre que tu as un bon cœur.

J’allai me coucher sans trop savoir quelle grande résolution mon instinct filial venait de prendre, et que j’avais très-probablement décidé, comme l’avait dit ma mère, de l’avenir de toute ma vie.

Le lendemain, N. Collard revint ; il fut décidé qu’il ne demanderait absolument rien pour moi, mais solliciterait seulement un bureau de tabac pour ma mère.

C’était de l’antiquité toute pure : la veuve de l’Horatius Coclés du Tyrol vendant du tabac !

Quant à moi, mon éducation allait se continuer chez l’abbé Grégoire.

J’ai dit chez l’abbé Grégoire, je me trompe, c’est par l’abbé Grégoire que j’aurais dû dire.

L’abbé Grégoire avait perdu, dans tout cela, son diplôme de maître de pension.

Je ne sais quelle décision de l’Université lui défendait de tenir collège chez lui. Il est vrai qu’il lui était permis de faire des élèves en ville.

Moyennant six francs par mois que ma mère s’engagea à lui payer, je devins son élève en ville.

En outre, je devais prendre des leçons de calcul avec le