pareil chef-d’œuvre. Adolphe courut chanter le couplet à son père, qui, en mâchant son cure-dents, lui dit :
— C’est toi qui as fait cela ?
— Non, mon père, c’est Dumas.
— Hum ! Vous faites donc un vaudeville avec Dumas ?
— Oui.
— Pourquoi n’y glisses-tu pas ta froide Ibérie ? ce serait une occasion de la placer !
Adolphe tourna les talons et alla chanter mon couplet à Lafarge.
Lafarge l’écouta en clignant les yeux.
— Tiens ! tiens ! tiens ! dit-il, et c’est Dumas qui a fait cela ?
— Oui, c’est lui.
— Vous êtes sûr qu’il ne l’a pas copié quelque part ?
Touchante confiance !
— J’en suis sûr ; je connais tous les couplets patriotiques qu’on a faits sur tous les théâtres de Paris, et je vous réponds que celui-là est inédit.
— Alors, c’est un hasard, et il se sera trompé.
De la Ponce lut le couplet à son tour ; le couplet chatouilla son cœur de soldat de 1814, et, à la première occasion, il m’en fit compliment.
Hélas ! pauvre couplet, si médiocre que tu sois, à mes yeux surtout, reçois cependant la place qui t’est due. Es-tu d’or ou de cuivre ? En tout cas, tu es la première pièce de monnaie littéraire jetée par moi dans le monde dramatique ! tu es l’amulette trouée que l’on met dans le fond du sac pour y faire venir un trésor ! Aujourd’hui, le sac est plein à déborder ! Ce qui est venu te recouvrir vaut-il beaucoup mieux que toi ? C’est ce que l’avenir décidera, — cet avenir, qui, pour les poëtes, prend la forme superbe d’une déesse, et le nom orgueilleux de postérité !
On connaît le côté vaniteux de ma personne. Mon orgueil n’avait pas besoin d’être encouragé pour sortir du vase où il était enfermé, et grandir comme le géant des Mille et une Nuits : je commençai à croire que j’avais fait un chef-d’œuvre.