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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/45

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

monté sur un affût, sans chien ni batterie, et auquel il mettait le feu avec une mèche d’amadou.

Il va sans dire que jamais il ne la manquait. Quand on arrive à aimer assez la chasse pour chasser avec de pareils instruments, on tue à tout coup.

Biche m’avait pris en amitié ; Biche était mon professeur.

Il m’apprenait toutes les ruses, non pas du chasseur, mais des animaux ; mais, pour chaque ruse d’animal, lui avait une ruse, et quelquefois deux…

Plus tard, on apprécia le mérite de Biche ; comme on ne pouvait pas l’empêcher de braconner, on le fit garde.

Après quinze ans de séparation, ne sachant pas ce qu’il était devenu, et allant chasser dans la forêt de Laigue avec une permission du duc d’Orléans, je retrouvai Biche garde-chef.

C’était justement sur sa garderie que j’avais permission de chasser. Nous nous reconnûmes. Je me jetai dans ses bras ; et nous partîmes.

Ô grand saint Hubert, toi seul sais quelle chasse nous fîmes ce jour-là !

Depuis la révolution de 1848, qui a amené la location des forêts royales ou apanagères à des particuliers, Biche ne chasse plus. Cette faculté, laissée autrefois aux gardes, de tuer ce qu’il leur fallait de lapins pour leur consommation personnelle, leur est ôtée aujourd’hui. Bien plus, ils ne peuvent plus faire leur service avec un fusil, et en sont réduits à porter un bâton pour toute arme.

À mon dernier voyage à Compiègne, un de mes amis, fermier pour un dixième de la chasse de la forêt de Laigue, me donnait tous ces détails.

— Ah ! mon Dieu ! m’écriai-je ; et mon pauvre Biche, il doit mourir de chagrin de se voir ainsi désarmé ?

— Biche ? me répondit mon interlocuteur. Soyez tranquille, il en tue plus avec son bâton que nous tous ensemble avec nos fusils.

Cela me rassura un peu sur le compte de Biche.

Biche me donnait donc des leçons dont je profitais à merveille.