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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/124

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

On attachait au premier une croix de Malte à la boutonnière, on affublait le second de la casaque de buffle, on dotait le troisième d’un petit collet.

Quant aux filles, on ne s’en occupait même pas ; elles épousaient qui elles voulaient lorsqu’elles étaient jolies, qui elles pouvaient lorsqu’elles étaient laides. Pour celles qui n’épousaient ni qui elles voulaient ni qui elles pouvaient, restait le couvent, ce grand cimetière des cœurs.

Or, quoique les trois quarts des mariages fussent des mariages de convenance, et se contractassent entre gens qui se connaissaient à peine, le mari était presque toujours sûr que son premier enfant mâle était de lui.

Ce premier enfant mâle, c’est-à-dire ce fils héritier de son nom, de son titre et de sa fortune, une fois fait par lui, que lui importait qui faisait M. le chevalier, M. le mousquetaire ou M. l’abbé ? La chose, par ma foi ! lui était bien égale ; souvent même il ne s’en enquérait pas. Voyez plutôt l’anecdote de Saint-Simon et de M. de Mortemart.

De nos jours, c’est bien différent, peste !

La loi a aboli le droit d’aînesse ; le code proscrit les majorats, les substitutions, les fidéicommis.

Le partage de la fortune est égal entre les enfants ; il n’y a même plus d’exception pour les filles : les filles, comme les garçons, ont droit à l’héritage paternel.

Or, du moment où le quem nuptiæ demonstrant sait que les enfants nés pendant le mariage partageront sa fortune en portions égales, il tient à ce que ces enfants soient de lui ; car l’enfant qui, n’étant point de lui, partage comme ceux qui sont de lui, est tout simplement un voleur.

Voilà pourquoi l’adultère est un crime au xixe siècle, et pourquoi le cocuage était une plaisanterie au xviie. Maintenant, d’où vient que l’on ne crie pas à l’immoralité devant Angélique qui trahit Georges Dandin, devant Valère qui vole son papa, devant don Juan qui trompe à la fois Charlotte, Mathurine et doña Elvire ?

C’est que tous ces gens-là, Georges Dandin, Harpagon, don Carlos, don Alonzo et Pierrot vivent deux ou trois siècles