Page:Dumas - Une Année à Florence.djvu/34

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velle date, et qui ne remontait pas, comme les autres, à la création du monde ou tout au moins au déluge. C’est par le déluge, comme on sait, que les lacs font leur preuve de noblesse. Le déluge est le 1599 des lacs. Or, celui de Cuges s’était étendu sans façon sur des propriétés qui appartenaient à des citoyens des villages environnans. Les citoyens propriétaires voulaient bien laisser le lac au gouvernement, mais ils voulaient être indemnisés des terres qu’ils perdaient par cette concession. Les Eaux et Forêts leur riaient au nez, ils montraient les dents aux Eaux et Forêts ; bref, il y avait dejà eu du papier marqué d’échangé, et les Cugeois, comme le pauvre savetier devenu riche, étaient quasi prêts à rendre leur lac, si on voulait leur rendre leur tranquillité.

Nous nous arrêtâmes à Cuges, d’où nous repartîmes le lendemain à six heures du matin.

La seule chose curieuse que nous offrit la route jusqu’à Toulon, c’était les gorges d’Ollioules ; les gorges d’Ollioules sont les Thermopyles de la Provence. Que l’on se figure des rochers à pic de deux à trois mille pieds de haut, du sommet desquels quelques villages perdus, où l’on monte on ne sait par où, se penchent curieusement pour vous regarder passer. Quelques-unes de ces montagnes ont de plus la prétention d’être des volcans éteints : je ne m’y oppose pas.

A peine est-on sorti des gorges d’Ollioules, que le contraste est grand : au lieu de ces deux parois de granit, si nues et si rapprochées qu’elles vous étouffent, on se trouve tout à coup dans une plaine délicieuse, encaissée à gauche par les montagnes qui s’arrondissent en demi-cercle, et à droite par la mer. Cette plaine, c’est la serre chaude de la Provence ; c’est là que poussent en pleine terre, et à l’envi l’un de l’autre, le palmier de Syrie, l’oranger de Mayorque, le néflier du Japon, le goyavier des Antilles, le yucca d’Amérique, le lentisque de Crête, et l’accacia de Constantinople ; c’est là le pied à terre des plantes qui viennent de l’orient et du midi, pour s’en aller mourir dans nos jardins botaniques du nord. Heureuses celles qui s’y arrêtent, car elles peuvent se croire encore dans leur pays natal.

C’est à gauche, sur le revers du chemin qui conduit des