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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/227

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— Oh ! mon pauvre maître ! mon cher maître, s’écriait-elle.

— Oui, ma bonne, oui, Gervaise, murmurait Broussel pour la calmer, tranquillise-toi, ce ne sera rien.

— Que je me tranquillise, quand vous êtes broyé, écrasé, moulu !

— Mais non, mais non, disait Broussel ; ce n’est rien ou presque rien.

— Rien, et vous êtes couvert de boue ! Rien, et vous avez du sang à vos cheveux ! Ah ! mon Dieu, mon Dieu, mon pauvre maître !

— Chut donc ! disait Broussel, chut !

— Du sang, mon Dieu, du sang ! criait Gervaise.

— Un médecin ! un chirurgien ! un docteur, hurlait la foule ; le conseiller Broussel se meurt ! Ce sont les Mazarins qui l’ont tué !

— Mon Dieu, disait Broussel, se désespérant, les malheureux vont faire brûler la maison !

— Mettez-vous à votre fenêtre et montrez-vous, notre maître.

— Je m’en garderai bien, peste ! disait Broussel ; c’est bon pour un roi de se montrer. Dis-leur que je suis mieux, Gervaise ; dis-leur que je vais me mettre, non pas à la fenêtre, mais au lit, et qu’ils se retirent.

— Mais pourquoi donc voulez-vous qu’ils se retirent ? Mais cela vous fait honneur, qu’ils soient là.

— Oh ! mais ne vois-tu pas, disait Broussel désespéré, qu’ils me feront pendre ! Allons ! voilà ma femme qui se trouve mal !

— Broussel ! Broussel ! criait la foule ; vive Broussel ! Un chirurgien pour Broussel !

Ils firent tant de bruit que ce qu’avait prévu Broussel arriva. Un peloton de gardes balaya avec la crosse des mousquets cette multitude, assez inoffensive du reste ; mais aux premiers cris de « La garde ! les soldats ! » Broussel, qui tremblait qu’on ne le prît pour l’instigateur de ce tumulte, se fourra tout habillé dans son lit.

Grâce à cette balayade, la vieille Gervaise, sur l’ordre trois fois réitéré de Broussel, parvint à fermer la porte de la rue. Mais à peine la porte fut-elle fermée et Gervaise remontée près de son maître, que l’on heurta fortement à cette porte.

Mme Broussel, revenue à elle, déchaussait son mari par le pied de son lit, tout en tremblant comme une feuille.

— Regardez qui frappe, dit Broussel, et n’ouvrez qu’à bon escient, Gervaise.

Gervaise regarda.

— C’est M. le président Blancmesnil, dit-elle.

— Alors, dit Broussel, il n’y a pas d’inconvénient, ouvrez.

— Eh bien ! dit le président en entrant, que vous ont-ils donc fait, mon cher Broussel ? J’entends dire que vous avez failli être assassiné ?

— Le fait est que, selon toute probabilité, quelque chose a été tramé contre ma vie, répondit Broussel avec une fermeté qui parut stoïque.

— Mon pauvre ami ! Oui, ils ont voulu commencer par vous ; mais notre tour viendra à chacun, et ne pouvant nous vaincre en masse, ils chercheront à nous détruire les uns après les autres.

— Si j’en réchappe, dit Broussel, je veux les écraser à leur tour sous le poids de ma parole.

— Vous en reviendrez, dit Blancmesnil, et pour leur faire payer cher cette agression.

Mme Broussel pleurait à chaudes larmes ; Gervaise se désespérait.

— Qu’y a-t-il donc ? s’écria un beau jeune homme aux formes robustes en se précipitant dans la chambre. Mon père blessé ?

— Vous voyez une victime de la