Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/228

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tyrannie, dit Blancmesnil en vrai spartiate.

— Oh ! dit le jeune homme en se retournant vers la porte, malheur à ceux qui vous ont touché, mon père !

— Jacques, dit le conseiller en se relevant, allez plutôt chercher un médecin, mon ami.

— J’entends les cris du peuple, dit la vieille ; c’est sans doute Friquet qui en amène un ; mais non, c’est un carrosse.

Blancmesnil regarda par la fenêtre.

— Le coadjuteur ! dit-il.

— M. le coadjuteur ! répéta Broussel. Eh ! mon Dieu, attendez donc que j’aille au-devant de lui !

Et le conseiller, oubliant sa blessure, allait s’élancer à la rencontre de M. de Retz, si Blancmesnil ne l’eût arrêté.

— Eh bien ! mon cher Broussel, dit le coadjuteur en entrant, qu’y a-t-il donc ? on parle de guet-apens, d’assassinat ? Bonjour, monsieur Blancmesnil. J’ai pris en passant mon médecin, et je vous l’amène.

— Ah ! monsieur, dit Broussel, que de grâces je vous dois ! Il est vrai que j’ai été cruellement renversé et foulé aux pieds par les mousquetaires du roi.

— Dites du cardinal, reprit le coadjuteur, dites du Mazarin. Mais nous lui ferons payer tout cela, soyez tranquille. N’est-ce pas, monsieur de Blancmesnil ?

Blancmesnil s’inclinait lorsque la porte s’ouvrit tout à coup, poussée par un coureur. Un laquais à grande livrée le suivait, qui annonça à haute voix :

— M. le duc de Longueville.

— Quoi ! s’écria Broussel, M. le duc ici ? quel honneur à moi ! Ah ! monseigneur !

— Je viens gémir, monsieur, dit le duc, sur le sort de notre brave défenseur. Êtes-vous donc blessé, mon cher conseiller ?

— Si je l’étais votre visite me guérirait, monseigneur.

— Vous souffrez, cependant ?

— Beaucoup, dit Broussel.

— J’ai amené mon médecin, dit le duc, permettez-vous qu’il entre ?

— Comment donc ! dit Broussel.

Le duc fit signe à son laquais qui introduisit un homme noir.

— J’avais eu la même idée que vous, mon prince, dit le coadjuteur.

Les deux médecins se regardèrent.

— Ah ! c’est vous, monsieur le coadjuteur ? dit le duc. Les amis du peuple se rencontrent sur leur véritable terrain.

— Ce bruit m’avait effrayé et je suis accouru ; mais je crois que le plus pressé serait que les médecins visitassent notre brave conseiller.

— Devant vous, messieurs ? dit Broussel tout intimidé.

— Pourquoi pas, mon cher ? Nous avons hâte, je vous le jure, de savoir ce qu’il en est.

— Eh ! mon Dieu, dit Mme  Broussel, qu’est-ce encore que ce nouveau tumulte ?

— On dirait des applaudissements, dit Blancmesnil en courant à la fenêtre.

— Quoi ? s’écria Broussel pâlissant, qu’y a-t-il encore ?

— La livrée de M. le prince de Conti ! s’écria Blancmesnil. M. le prince de Conti lui-même !

Le coadjuteur et M. de Longueville avaient une énorme envie de rire. Les médecins allaient lever la couverture de Broussel. Broussel les arrêta. En ce moment le prince de Conti entra.

— Ah ! Messieurs, dit-il en voyant le coadjuteur, vous m’avez prévenu ! Mais il ne faut pas m’en vouloir, mon cher monsieur Broussel. Quand j’ai appris votre accident, j’ai cru que vous manqueriez peut-être de médecin, et j’ai passé pour prendre le mien. Comment allez-vous, et qu’est-ce que cet assassinat dont on parle ?