Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/345

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

rible chose à cette époque que d’être emprisonné par l’inimitié du roi. Louvières fit un mouvement pour sauter sur son épée, qui était sur une chaise, dans l’angle de la salle ; mais un coup d’œil du bonhomme Broussel, qui au milieu de tout cela ne perdait pas la tête, contint ce mouvement désespéré. Mme  Broussel, séparée de son mari par la largeur de la table, fondait en larmes ; les deux jeunes filles tenaient leur père embrassé.

— Allons, Monsieur, dit Comminges, hâtons-nous, il faut obéir au roi.

— Monsieur, dit Broussel, je suis en mauvaise santé et ne puis me rendre prisonnier en cet état ; je demande du temps.

— C’est impossible, répondit Comminges, l’ordre est formel et doit être exécuté à l’instant même.

— Impossible, dit Louvières ; monsieur, prenez garde de nous pousser au désespoir.

— Impossible, dit une voix criarde au fond de la chambre.

Comminges se retourna et vit dame Nanette son balai à la main et dont les yeux brillaient de tous les feux de la colère.

— Ma bonne Nanette, tenez-vous tranquille, dit Broussel, je vous en prie.

— Moi, me tenir tranquille quand on arrête mon maître, le soutien, le libérateur, le père du pauvre peuple ! Ah bien oui ! vous me connaissez encore !… Voulez-vous vous en aller ? dit-elle à Comminges.

Comminges sourit.

— Voyons, Monsieur, dit-il en se retournant vers Broussel, faites taire cette femme et suivez-moi.

— Me faire taire, moi ! moi ! dit Nanette ; ah bien oui ! il en faudrait encore un autre que vous, mon bel oiseau du roi ! Vous allez voir !

Et dame Nanette s’élança vers la fenêtre, l’ouvrit, et d’une voix si perçante qu’on put l’entendre du parvis Notre-Dame :

— Au secours ! cria-t-elle, on arrête mon maître ! on arrête le conseiller Broussel ! au secours !

— Monsieur, dit Comminges, déclarez-vous tout de suite : obéirez-vous, ou comptez-vous faire rébellion au roi ?

— J’obéis, j’obéis, monsieur ! s’écria Broussel essayant de se dégager de l’étreinte de ses deux filles et de contenir du regard son fils toujours prêt à lui échapper.

— En ce cas, dit Comminges, imposez silence à cette vieille.

— Ah ! vieille ! dit Nanette…

Et elle se mit à crier de plus belle en se cramponnant aux barres de la fenêtre :

— Au secours ! au secours ! pour maître Broussel, qu’on arrête parce qu’il a défendu le peuple ; au secours !

Comminges saisit la servante à bras-le-corps, et voulut l’arracher de son poste, mais au même instant une autre voix sortant d’une espèce d’entresol hurla sur un ton de fausset :

— Au meurtre ! au feu ! à l’assassin ! On tue M. Broussel ! on égorge M. Broussel !

C’était la voix de Friquet. Dame Nanette, se sentant soutenue, reprit alors avec plus de force et fit chorus.

Déjà des têtes curieuses apparaissaient aux fenêtres : le peuple, attiré au bout de la rue, accourait ; des hommes, puis des groupes, puis une foule : on entendait les cris, on voyait un carrosse, mais on ne comprenait pas. Friquet sauta de l’entresol sur l’impériale de la voiture.