Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/390

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lait cacher ; aussi renonça-t-il à découvrir pour le moment le mystère que lui faisait le Gascon.

— Parlons de mes affaires, dit le cardinal, puisque vous ne voulez rien me dire des vôtres.

D’Artagnan s’inclina.

— Aimez-vous les voyages ? demanda le cardinal.

— J’ai passé ma vie sur les grands chemins.

— Quelque chose vous retiendrait-il à Paris ?

— Rien ne me retiendrait à Paris qu’un ordre supérieur.

— Bien. Voici une lettre qu’il s’agit de remettre à son adresse.

— À son adresse, monseigneur ? mais il n’y en a pas.

En effet, le côté opposé au cachet était intact de toute écriture.

— C’est-à-dire, reprit Mazarin, qu’il y a une double enveloppe.

— Je comprends, et je dois déchirer la première, arrivé à un endroit donné seulement.

— À merveille. Prenez et partez. Vous avez un ami, M. du Vallon ; je l’aime fort, vous l’emmènerez.

— Diable ! se dit d’Artagnan, il sait que nous avons entendu sa conversation d’hier, et il veut nous éloigner de Paris.

— Hésiteriez-vous ? demanda Mazarin.

— Non, monseigneur, et je pars sur-le-champ. Seulement je désirerais une chose…

— Laquelle ? dites.

— C’est que Votre Éminence passât chez la reine.

— Quand cela ?

— À l’instant même.

— Pourquoi faire ?

— Pour lui dire seulement ces mots : J’envoie M. d’Artagnan quelque part, et je le fais partir tout de suite.

— Vous voyez bien, dit Mazarin, que vous avez vu la reine.

— J’ai eu l’honneur de dire à Votre Éminence qu’il était possible qu’il y eût malentendu.

— Que signifie cela ? demanda Mazarin.

— Oserais-je renouveler ma prière à Son Éminence ?

— C’est bien, j’y vais. Attendez-moi ici.

Mazarin regarda avec attention si aucune clef n’avait été oubliée aux armoires et sortit.

Dix minutes s’écoulèrent, pendant lesquelles d’Artagnan fit tout ce qu’il put pour lire à travers la première enveloppe ce qui était écrit sur la seconde, mais il n’en put venir à bout.

Mazarin rentra pâle et vivement préoccupé ; il alla s’asseoir à son bureau. D’Artagnan l’examinait comme il venait d’examiner l’épître ; mais l’enveloppe de son visage était presque aussi impénétrable que l’enveloppe de la lettre.

— Eh, eh ! dit le Gascon, il a l’air fâché. Serait-ce contre moi ? Il médite ; est-ce de m’envoyer à la Bastille ? Tout beau, monseigneur ! au premier mot que vous en dites, je vous étrangle et me fais frondeur. On me portera en triomphe comme M. Broussel, et Athos me proclamera le Brutus français. Ce serait drôle.

Le Gascon, avec son imagination toujours galopante, avait déjà vu tout le parti qu’il pouvait tirer de la situation. Mais Mazarin ne donna aucun ordre de ce genre et se mit au contraire à faire patte de velours à d’Artagnan :

— Vous aviez raison, lui dit-il, mon cher monsou d’Artagnan, et vous ne pouvez partir encore.

— Ah ! fit d’Artagnan.

— Rendez-moi donc cette dépêche, je vous prie.

D’Artagnan obéit. Mazarin s’assura que le cachet était bien intact.

— J’aurai besoin de vous ce soir, dit-il, revenez dans deux heures.

— Dans