Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/458

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tient qu’à un fil.

— Qu’en dites-vous, du Vallon ? demanda Athos.

— Moi, dit Porthos, je suis absolument de l’avis de d’Artagnan, c’est un vilain pays que cette Angleterre.

— Vous êtes bien décidé à la quitter, alors ? demanda Athos à d’Artagnan.

— Sang-Diou ! dit d’Artagnan, je ne vois pas ce qui m’y retiendrait.

Athos échangea un regard avec Aramis.

— Allez donc, mes amis, dit-il en soupirant.

— Comment, allez ! dit d’Artagnan. Allons, ce me semble !

— Non, mon ami, dit Athos. Il faut nous quitter.

— Vous quitter ! dit d’Artagnan tout étourdi de cette nouvelle inattendue.

— Bah ! fit Porthos, pourquoi donc nous quitter, puisque nous sommes ensemble ?

— Parce que votre mission est accomplie, à vous, et que vous pouvez, et que vous devez même retourner en France ; mais la nôtre ne l’est pas, à nous.

— Votre mission n’est pas accomplie ? dit d’Artagnan en regardant Athos avec surprise.

— Non, mon ami, répondit Athos de sa voix si douce et si ferme à la fois. Nous sommes venus ici pour défendre le roi Charles, nous l’avons mal défendu, il nous reste à le sauver.

— Sauver le roi ! fit d’Artagnan en regardant Aramis comme il avait regardé Athos.

Aramis se contenta de faire un signe de tête. Le visage de d’Artagnan prit un air de profonde compassion, il commença à croire qu’il avait affaire à deux insensés.

— Il ne se peut pas que vous parliez sérieusement, Athos, dit d’Artagnan, le roi est au milieu d’une armée qui le conduit à Londres. Cette armée est commandée par un boucher, ou un fils de boucher, peu importe, le colonel Harrison. Le procès va être fait à Sa Majesté, à son arrivée à Londres, je vous en réponds ; j’en ai entendu sortir assez sur ce sujet de la bouche de M. Olivier Cromwell pour savoir à quoi m’en tenir.

Athos et Aramis échangèrent un second regard.

— Et son procès fait, le jugement ne tardera pas à être mis à exécution, continua d’Artagnan. Oh ! ce sont des gens qui vont vite en besogne, que messieurs les puritains.

— Et à quelle peine pensez-vous que le roi soit condamné ? demanda Athos.

— Je crains bien que ce ne soit à la peine de mort ; ils en ont trop fait contre lui pour qu’il leur pardonne ; ils n’ont plus qu’un moyen, c’est de le tuer. Ne connaissez-vous donc pas le mot de M. Olivier Cromwell quand il est venu à Paris et qu’on lui a montré le donjon de Vincennes, où était enfermé M. de Vendôme ?

— Quel est ce mot ? demanda Porthos.

— Il ne faut toucher les princes qu’à la tête.

— Je le connaissais, dit Athos.

— Et vous croyez qu’il ne mettra point sa maxime à exécution, maintenant qu’il tient le roi ?

— Si fait, j’en suis sûr même, mais raison de plus pour ne point abandonner l’auguste tête menacée.

— Athos, vous devenez fou.

— Non, mon ami, répondit doucement le gentilhomme, mais de Winter est venu nous chercher en France, il nous a conduits à Mme  Henriette. Sa Majesté nous a fait l’honneur, à M. d’Herblay et à moi, de nous demander notre aide pour son époux ; nous lui avons engagé notre parole, notre parole renfermait tout. C’était notre force, c’était notre intelligence, c’était notre vie, enfin, que nous lui engagions ; il nous reste à tenir notre parole. Est-ce votre avis, d’Herblay ?

— Oui, dit Aramis, nous avons promis.

— Puis, continua Athos, nous avons une autre raison, et la voici, écoutez bien : tout est pauvre et mesquin en France en ce moment. Nous avons un roi de dix