Aller au contenu

Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/460

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

fera, soyez tranquille, Porthos, dit d’Artagnan. Ainsi, c’est convenu, continua le Gascon ; et si Porthos ne s’y oppose pas…

— Moi, s’écria Porthos, je ferai ce que vous voudrez. D’ailleurs je trouve très beau ce qu’a dit tout à l’heure le comte de la Fère.

— Mais votre avenir, d’Artagnan ? Vos ambitions, Porthos ?

— Notre avenir, nos ambitions ? dit d’Artagnan avec une volubilité fiévreuse ; avons-nous besoin de nous occuper de cela, puisque nous sauvons le roi ? Le roi sauvé, nous rassemblons ses amis, nous battons les puritains, nous reconquérons l’Angleterre, nous rentrons dans Londres avec lui, nous le reposons bien carrément sur son trône.

— Et il nous fait ducs et pairs, dit Porthos, dont les yeux étincelaient de joie, même en voyant cet avenir à travers une fable.

— Ou il nous oublie, observa d’Artagnan.

— Oh ! fit Porthos.

— Dame, cela s’est vu, ami Porthos ; et il me semble que nous avons autrefois rendu à la reine Anne d’Autriche un service qui ne le cédait pas de beaucoup à celui que nous voulons rendre aujourd’hui à Charles Ier, ce qui n’a point empêché la reine Anne d’Autriche de nous oublier pendant près de vingt ans.

— Eh bien, malgré cela, d’Artagnan, reprit Athos, êtes-vous fâché de le lui avoir rendu, ce service ?

— Non, ma foi, dit d’Artagnan, et j’avoue même que dans mes moments de plus mauvaise humeur, eh bien ! j’ai trouvé une consolation dans ce souvenir.

— Vous voyez bien, d’Artagnan, que les princes sont ingrats souvent, mais que Dieu ne l’est jamais.

— Tenez, Athos, dit d’Artagnan, je crois que si vous rencontriez le diable sur la terre, vous feriez si bien, que vous le ramèneriez avec vous au ciel.

— Ainsi donc… dit Athos en tendant la main à d’Artagnan.

— Ainsi donc, c’est convenu, dit d’Artagnan, je trouve l’Angleterre un pays charmant, et j’y reste, mais à une condition.

— Laquelle ?

— C’est qu’on ne me forcera pas d’apprendre l’anglais.

— Eh bien ! maintenant, dit Athos triomphant, je vous le jure, mon ami, par ce Dieu qui nous entend, par mon nom que je crois sans tache, je crois qu’il y a une puissance qui veille sur nous, et j’ai l’espoir que nous reverrons tous quatre la France.

— Soit, dit d’Artagnan ; mais moi j’avoue que j’ai la conviction toute contraire.

— Ce cher d’Artagnan, observa Aramis, il représente au milieu de nous l’opposition des parlements, qui disent toujours non et qui font toujours oui.

— Oui, mais qui en attendant sauve la patrie, ajouta Athos.

— Eh bien, maintenant que tout est arrêté, dit Porthos en se frottant les mains, si nous pensions à dîner ? il me semble que, dans les situations les plus critiques de notre vie, nous avons dîné toujours.

— Ah ! oui, dit Aramis, parlez donc de dîner dans un pays où l’on mange pour tout festin du mouton cuit à l’eau, et où, pour tout régal, on boit de la bière ! Comment, diable ! êtes-vous venu dans un pays pareil, Athos ? Ah ! pardon, ajouta-t-il en souriant, j’oubliais que vous n’êtes plus Athos. Mais, n’importe, voyons votre plan pour dîner, Porthos ?

— Mon plan ?

— Oui, avez-vous un plan ?

— Non, j’ai faim, voilà tout.

— Pardieu, si ce n’est que cela, moi aussi, j’ai faim, mais ce n’est pas le tout que d’avoir faim, il faut trouver à manger, et à moins que de brouter l’herbe comme nos chevaux…

— Ah ! fit Aramis, qui n’était pas tout à fait si détaché des choses de la terre qu’Athos, quand nous étions au Parpaillot, vous rappelez-vous les belles huîtres que nous mangions ?

— Et ces gigots de mouton des marais salants ! fit Porthos en passant sa langue sur ses lèvres.

— Mais, dit d’Artagnan, n’avons-nous pas notre ami Mousqueton