Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/525

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gler, il est juste que je vous laisse votre temps.

— Merci, monsieur ; il sera bien employé, je l’espère.

Cromwell fit à Mordaunt un signe de la tête ; puis se retournant :

— Êtes-vous armé ? demanda-t-il.

— J’ai mon épée, dit Mordaunt.

— Et personne qui vous attende à la porte ?

— Personne.

— Alors, vous devriez venir avec moi, Mordaunt.

— Merci, monsieur ; les détours que vous êtes obligé de faire en passant par le souterrain me prendraient du temps, et d’après ce que vous venez de me dire, je n’en ai peut-être déjà que trop perdu. Je sortirai par l’autre porte.

— Allez donc, dit Cromwell.

Et posant la main sur un bouton caché, il fit ouvrir une porte si bien perdue dans la tapisserie qu’il était impossible à l’œil le plus exercé de la reconnaître. Cette porte, mue par un ressort d’acier, se referma sur lui. C’était une de ces issues secrètes comme l’histoire nous dit qu’il en existait dans toutes les mystérieuses maisons qu’habitait Cromwell. Celle-là passait sous la rue déserte et allait s’ouvrir au fond d’une grotte, dans le jardin d’une autre maison située à cent pas de celle que le futur protecteur venait de quitter. Cela explique comment Grimaud n’avait vu venir personne, et comment néanmoins Cromwell était venu.

C’était pendant cette dernière partie de la scène que, par l’ouverture que laissait un pan du rideau mal tiré, Grimaud avait aperçu les deux hommes et avait successivement reconnu Cromwell et Mordaunt. On a vu l’effet qu’avait produit la nouvelle sur les quatre amis. D’Artagnan fut le premier qui reprit la plénitude de ses facultés.

— Mordaunt, dit-il ; ah ! par le ciel ! c’est Dieu lui-même qui nous l’envoie.

— Oui, dit Porthos, enfonçons la porte et tombons sur lui.

— Au contraire, dit d’Artagnan, n’enfonçons rien, pas de bruit. Le bruit appelle du monde, car s’il est, comme le dit Grimaud, avec son digne maître, il doit y avoir cachés à une cinquantaine de pas d’ici quelque poste, des côtes de fer. Holà ! Grimaud, venez ici et tâchez de vous tenir sur vos jambes.

Grimaud s’approcha. La fureur lui était revenue avec le sentiment, mais il était ferme.

— Bien, continua d’Artagnan ; maintenant montez de nouveau à ce balcon, et dites-nous si le Mordaunt est encore en compagnie, s’il s’apprête à sortir ou à se coucher ; s’il est en compagnie, nous attendrons qu’il soit seul ; s’il sort, nous le prendrons à la sortie ; s’il reste, nous enfoncerons la fenêtre. C’est toujours moins bruyant et moins difficile qu’une porte.

Grimaud commença à escalader silencieusement la fenêtre.

— Gardez l’autre issue, Athos et Aramis ; nous restons ici avec Porthos.

Les deux amis obéirent.

— Eh bien ! Grimaud ? demanda d’Artagnan.

— Il est seul, dit Grimaud.

— Tu en es sûr ?

— Oui.

— Nous n’avons pas vu sortir son compagnon.

— Peut-être est-il sorti par l’autre porte.

— Que fait-il ?

— Il s’enveloppe de son manteau et met ses gants…

— À nous ! murmura d’Artagnan.

Porthos mit la main à son poignard, qu’il tira machinalement du fourreau.

— Rengaine, ami Porthos, dit d’Artagnan ; il ne s’agit point ici de frapper