Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/61

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et les grands ont raison. Mais attendons un peu, et voyons. J’ai reçu une lettre de lui aussi, le cher ami, à telle enseigne qu’il me demandait même un petit service que je lui ai rendu. Ah ! oui, mais où ai-je mis cette lettre à présent ?

D’Artagnan réfléchit un instant et s’avança vers le portemanteau où étaient pendus ses vieux habits ; il y chercha son pourpoint de l’année 1648, et, comme c’était un garçon d’ordre que d’Artagnan, il le trouva accroché à son clou. Il fouilla dans la poche, et en tira un papier ; c’était justement la lettre d’Aramis.

« Monsieur d’Artagnan, lui disait-il, vous saurez que j’ai eu querelle avec un certain gentilhomme qui m’a donné rendez-vous pour ce soir, place Royale ; comme je suis d’Église et que l’affaire pourrait me nuire si j’en faisais part à un autre qu’à un ami aussi sûr que vous, je vous écris pour que vous me serviez de second.

« Vous entrerez par la rue Neuve-Sainte-Catherine ; sous le second réverbère à droite vous trouverez votre adversaire. Je serai avec le mien sous le troisième.

« Tout à vous, Aramis. »

Cette fois, il n’y avait pas même d’adieux. D’Artagnan essaya de rappeler ses souvenirs ; il était allé au rendez-vous, y avait rencontré l’adversaire indiqué, dont il n’avait jamais su le nom, lui avait fourni un joli coup d’épée dans le bras, puis il s’était approché d’Aramis, qui venait de son côté au-devant de lui, ayant déjà fini son affaire.

— C’est terminé, avait dit Aramis. Je crois que j’ai tué l’insolent. Mais, cher ami, si vous avez besoin de moi, vous savez que je vous suis tout dévoué.

Sur quoi Aramis lui avait donné une poignée de main et avait disparu sous les arcades.

D’Artagnan ne savait donc pas plus où était Aramis qu’où étaient Athos et Porthos, et la chose commençait à devenir assez embarrassante, lorsqu’il crut entendre le bruit d’une vitre qu’on brisait dans sa chambre. Il pensa aussitôt à son sac qui était dans le secrétaire et s’élança du cabinet. Il ne s’était pas trompé : au moment où il entrait par la porte, un homme entrait par la fenêtre.

— Ah ! misérable ! s’écria d’Artagnan, prenant cet homme pour un larron et mettant l’épée à la main.

— Monsieur, s’écria l’homme, au nom du ciel remettez votre épée au fourreau et ne me tuez pas sans m’entendre. Je ne suis pas un voleur, tant s’en faut ! je suis un honnête bourgeois bien établi, ayant pignon sur rue. Je me nomme… Eh mais, je ne me trompe pas, vous êtes monsieur d’Artagnan !

— Et toi Planchet ! s’écria le lieutenant.

— Pour vous servir, Monsieur, dit Planchet au comble du ravissement, si j’en étais encore capable.

— Peut-être, dit d’Artagnan, mais que diable fais-tu à courir sur les toits à sept heures du matin dans le mois de janvier ?

— Monsieur, dit Planchet, il faut que vous sachiez. Mais, au fait, vous ne devez peut-être pas le savoir.

— Voyons, quoi ? dit d’Artagnan. Mais d’abord mets une serviette devant la vitre et tire les rideaux.

Planchet obéit, puis quand il eut fini :