Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/62

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Eh bien ? dit d’Artagnan.

— Monsieur, avant toute chose, dit le prudent Planchet, comment êtes-vous avec M. de Rochefort ?

— Mais à merveille. Comment donc ! Rochefort ? mais tu sais bien que c’est maintenant un de mes meilleurs amis.

— Ah ! tant mieux.

— Mais qu’a de commun Rochefort avec cette manière d’entrer dans ma chambre ?

— Ah voilà, Monsieur ! il faut vous dire d’abord que M. de Rochefort est…

Planchet hésita.

— Pardieu ! dit d’Artagnan, je le sais bien, il est à la Bastille.

— C’est-à-dire qu’il y était, répondit Planchet.

— Comment ! il y était ? s’écria d’Artagnan ; aurait-il eu le bonheur de se sauver ?

— Ah ! Monsieur, s’écria à son tour Planchet, si vous appelez cela du bonheur, tout va bien ; il faut donc vous dire qu’il paraît qu’hier on avait envoyé prendre M. de Rochefort à la Bastille.

— Eh ! pardieu ! je le sais bien, puisque c’est moi qui suis allé l’y chercher !

— Mais ce n’est pas vous qui l’y avez reconduit, heureusement pour lui, car si je vous eusse reconnu parmi l’escorte, croyez, monsieur, que j’ai toujours trop de respect pour vous…

— Achève donc, animal ! voyons, qu’est-il donc arrivé ?

— Eh bien ! il est arrivé qu’au milieu de la rue de la Féronnerie, comme le carrosse de M. de Rochefort traversait un groupe de peuple, et que les gens de l’escorte rudoyaient les bourgeois, il s’est élevé des murmures ; le prisonnier a pensé que l’occasion était belle ; il s’est nommé et a crié à l’aide ! Moi, j’étais là, j’ai reconnu le nom du comte de Rochefort ; je me suis souvenu que c’était lui qui m’avait fait sergent dans le régiment de Piémont ; j’ai dit tout haut que c’était un prisonnier, ami de M. le duc de Beaufort. On s’est ameuté, on a arrêté les chevaux, on a culbuté l’escorte. Pendant ce temps-là j’ai ouvert la portière, M. de Rochefort a sauté à terre et s’est perdu dans la foule. Malheureusement en ce moment-là une patrouille passait, elle s’est réunie aux gardes et nous a chargés. J’ai battu en retraite du côté de la rue Tiquetonne, j’étais suivi de près. Je me suis réfugié dans la maison à côté de celle-ci ; on l’a cernée, fouillée, mais inutilement : j’avais trouvé au cinquième une personne compatissante qui m’a fait cacher entre deux matelas. Je suis resté dans ma cachette ou à peu près, jusqu’au jour, et, pensant qu’au soir on allait peut-être recommencer les perquisitions, je me suis aventuré sur les gouttières, cherchant une entrée d’abord, puis ensuite une sortie dans une maison quelconque, mais qui ne fût point gardée. Voilà mon histoire, et sur l’honneur, Monsieur, je serais désespéré qu’elle vous fût désagréable.

— Non pas, dit d’Artagnan, au contraire, et je suis, ma foi, bien aise que Rochefort soit en liberté ; mais sais-tu bien une chose ? c’est que si tu tombes dans les mains des gens du roi, tu seras pendu sans miséricorde.

— Pardieu ! si je le sais ! dit Planchet ; c’est bien ce qui me tourmente même ; et voilà pourquoi je suis si content de vous avoir retrouvé, car si vous voulez me cacher, personne ne le peut mieux que vous.

— Oui, dit d’Artagnan, je ne demande pas mieux, quoique je ne risque ni plus ni moins que mon grade, s’il était reconnu que j’ai donné asile à un rebelle.

— Ah ! Monsieur, vous savez bien que moi je risquerais ma vie pour vous.

— Tu pourrais même ajouter que tu l’as risquée, Planchet. Je n’oublie que les choses que je dois oublier, et quant à celle-ci, je veux m’en souvenir. Assieds-toi donc là et mange tranquille, car je m’aperçois que tu re-