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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/623

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d’un pavillon faisant suite à l’orangerie et de plain-pied avec elle. On arrivait à cette orangerie par une grande cour peuplée de soldats et de courtisans. Cette cour, qui formait le fer à cheval, avait à son centre les appartements habités par M. de Mazarin, et à chacune de ses ailes le pavillon de chasse où était d’Artagnan et le pavillon de l’orangerie où venait d’entrer Athos. Derrière l’extrémité de ces deux ailes s’étendait le parc.

Athos, en arrivant dans la chambre qu’il devait habiter, aperçut à travers sa fenêtre, soigneusement grillée, des murs et des toits.

— Qu’est-ce que ce bâtiment ? dit-il.

— Le derrière du pavillon de chasse où vos amis sont détenus, dit Comminges. Malheureusement, les fenêtres qui donnent de ce côté ont été bouchées du temps de l’autre cardinal, car plus d’une fois les bâtiments ont servi de prison, et M. de Mazarin, en vous y enfermant, ne fait que les rendre à leur destination première. Si ces fenêtres n’étaient pas bouchées, vous auriez eu la consolation de correspondre par signes avec vos amis.

— Et vous êtes sûr, monsieur de Comminges, dit Athos, que le cardinal me fera l’honneur de me visiter ?

— Il me l’a assuré, du moins, monsieur.

Athos soupira en regardant ses fenêtres grillées.

— Oui, c’est vrai, dit Comminges, c’est presque une prison, rien n’y manque, pas même les barreaux. Mais aussi quelle singulière idée vous a-t-il pris, à vous qui êtes une fleur de noblesse, d’aller épanouir votre bravoure et votre loyauté parmi tous ces champignons de la Fronde ! Vraiment, comte, si j’eusse jamais cru avoir quelque ami dans les rangs de l’armée royale, c’est à vous que j’eusse pensé. Un frondeur, vous ! le comte de la Fère, du parti d’un Broussel, d’un Blancmesnil, d’un Viole ! Fi donc ! cela ferait croire que madame votre mère était quelque petite robine. Vous un frondeur !

— Ma foi, mon cher monsieur, dit Athos, il fallait être mazarin ou frondeur. J’ai longtemps fait résonner ces deux noms à mon oreille, et je me suis prononcé pour le dernier ; c’est un nom français, au moins. Et puis, je suis frondeur, non pas avec M. Broussel, avec M. Blancmesnil et avec M. Viole, mais avec M. de Beaufort, M. de Bouillon et M. d’Elbeuf, avec des princes et non avec des présidents, des conseillers, des robins. D’ailleurs, l’agréable résultat que de servir M. le cardinal ! Regardez ce mur sans fenêtres, monsieur de Comminges, il vous en dira de belles sur la reconnaissance mazarine.

— Oui, reprit en riant Comminges, et surtout s’il répète ce que M. d’Artagnan lui lance depuis huit jours de malédictions.

— Pauvre d’Artagnan ! dit Athos avec cette mélancolie charmante qui faisait une des faces de son caractère, un homme si brave, si bon, si terrible à ceux qui n’aiment pas ceux qu’il aime ! Vous avez là deux rudes prisonniers, monsieur de Comminges, et je vous plains si l’on a mis sous votre responsabilité ces deux hommes indomptables.

— Indomptables ! dit en souriant à son tour Comminges ; eh ! Monsieur, vous voulez me faire peur. Le premier jour de son emprisonnement, M. d’Artagnan a provoqué tous les soldats et tous les bas officiers, sans doute afin d’avoir une épée ; cela a duré le lendemain, s’est étendu même jusqu’au surlendemain, mais ensuite il est devenu calme et doux comme un agneau. À présent il chante des chansons gasconnes qui nous font mourir de rire.

— Et M. du Vallon ? demanda Athos.

— Ah ! celui-là, c’est autre chose. J’avoue que c’est un gentilhomme effrayant. Le premier jour, il a enfoncé toutes les portes