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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/636

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et le déposa sur le parquet, où d’Artagnan, en lui laissant tout juste le temps de reprendre sa respiration, le bâillonna avec son écharpe, et aussitôt bâillonné, se mit à le déshabiller avec la promptitude et la dextérité d’un homme qui a appris son métier sur le champ de bataille.

Puis le soldat garrotté et bâillonné fut porté dans l’âtre, dont nos amis avaient préalablement éteint la flamme.

— Voici toujours une épée et un habit, dit Porthos.

— Je les prends, dit d’Artagnan. Si vous voulez un autre habit et une autre épée, il faut recommencer le tour. Attention ! Je vois justement l’autre soldat qui sort du corps-de-garde et qui vient de ce côté.

— Je crois, dit Porthos, qu’il serait imprudent de recommencer pareille manœuvre. On ne réussit pas deux fois, à ce qu’on assure, par le même moyen. Si je le manquais, tout serait perdu. Je vais descendre, le saisir au moment où il ne se défiera pas, et je vous l’offrirai tout bâillonné.

— C’est mieux, répondit le Gascon.

— Tenez-vous prêt, dit Porthos en se laissant glisser par l’ouverture.

La chose s’effectua comme Porthos l’avait promis. Le géant se cacha sur son chemin, et, lorsque le soldat passa devant lui, il le saisit au cou, le bâillonna, le poussa pareil à une momie à travers les barreaux élargis de la fenêtre et rentra derrière lui.

On déshabilla le second prisonnier comme on avait déshabillé l’autre. On le coucha sur le lit, on l’assujétit avec des sangles, et comme le lit était de chêne massif et que les sangles étaient doublées, on fut non moins tranquille sur celui-là que sur le premier.

— Là, dit d’Artagnan, voici qui va à merveille. Maintenant, essayez-moi l’habit de ce gaillard-là, Porthos. Je doute qu’il vous aille ; mais s’il vous est par trop étroit, ne vous inquiétez point, le baudrier vous suffira, et surtout le chapeau à plumes rouges.

Il se trouva par hasard que le second soldat était un Suisse gigantesque, de sorte qu’à l’exception de quelques points qui craquèrent dans les coutures, tout alla le mieux du monde.

Pendant quelque temps, on n’entendit que le froissement du drap, Porthos et d’Artagnan s’habillant à la hâte.

— C’est fait, dirent-ils en même temps. Quant à vous, compagnons, ajoutèrent-ils en se retournant vers les deux soldats, il ne vous arrivera rien si vous êtes bien gentils ; mais si vous bougez, vous êtes morts.

Les soldats se tinrent cois. Ils avaient compris au poignet de Porthos que la chose était des plus sérieuses et qu’il n’était pas le moins du monde question de plaisanter.

— Maintenant, dit d’Artagnan, vous ne seriez pas fâché de comprendre, n’est-ce pas Porthos ?

— Mais oui, pas mal.

— Eh bien, nous descendons dans la cour.

— Oui.

— Nous prenons la place de ces deux gaillards-là.

— Bien.

— Nous nous promenons de long en large.

— Et ce sera bien vu, attendu qu’il ne fait pas chaud.

— Dans un instant le valet de chambre appelle comme hier et avant-hier le service.

— Nous répondons ?

— Non, nous ne répondons pas, au contraire.

— Comme vous voudrez. Je ne tiens pas à répondre.

— Nous ne répondons donc pas : nous enfonçons seulement notre chapeau sur notre tête et nous escortons