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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/668

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élite. Les rangs des chevaux se resserrèrent et un léger frémissement courut parmi les hommes.

À la barrière des Sergents on fut obligé de faire halte ; Comminges quitta la tête de l’escorte, qu’il tenait, et vint au carosse de la reine. La reine interrogea d’Artagnan du regard, d’Artagnan lui répondit dans le même langage.

— Allez en avant, dit la reine.

Comminges regagna son poste. On fit un effort, et la barrière vivante fut rompue violemment. — Quelques murmures s’élevèrent de la foule, qui cette fois s’adressaient aussi bien au roi qu’au ministre.

— En avant ! cria d’Artagnan à pleine voix.

— En avant ! répéta Porthos.

Mais, comme si la multitude n’eût attendu que cette démonstration pour éclater, tous les sentiments d’hostilité qu’elle renfermait éclatèrent à la fois. Les cris de À bas le Mazarin ! À mort le cardinal ! retentirent de tous côtés.

En même temps, par les rues de Grenelle-Saint-Honoré et du Coq, un double flot se rua qui rompit la faible haie des gardes suisses, et s’en vint tourbillonner jusqu’aux jambes du cheval de d’Artagnan et de Porthos.

Cette nouvelle irruption était plus dangereuse que les autres, car elle se composait de gens armés, et mieux armés même que ne le sont les hommes du peuple en pareil cas. On voyait que ce dernier mouvement n’était pas l’effet du hasard qui aurait réuni un certain nombre de mécontents sur le même point, mais la combinaison d’un esprit hostile qui avait organisé une attaque.

Ces deux masses étaient conduites chacune par un chef, l’un qui semblait appartenir, non pas au peuple, mais même à l’honorable corporation des mendiants ; l’autre que, malgré son affectation à imiter les airs du peuple, il était facile de reconnaître pour un gentilhomme. Tous deux agissaient évidemment poussés par une même impulsion.

Il y eut une vive secousse qui retentit jusque dans la voiture royale ; puis des milliers de cris, formant une vaste clameur, se firent entendre, entrecoupés de deux ou trois coups de feu.

— À moi, les mousquetaires ! cria d’Artagnan.

L’escorte se sépara en deux files ; l’une passa à droite du carosse, l’autre à gauche ; l’une vint au secours de d’Artagnan, l’autre de Porthos.

Alors une mêlée s’engagea, d’autant plus terrible qu’elle n’avait pas de but, d’autant plus funeste qu’on ne savait ni pourquoi ni pour qui on se battait.

Comme tous les mouvements de la populace, le choc de cette foule fut terrible ; les mousquetaires, peu nombreux, mal alignés, ne pouvant, au milieu de cette multitude, faire circuler leurs chevaux, commencèrent par être entamés. D’Artagnan avait voulu faire baisser les mantelets de la voiture, mais le jeune roi avait étendu le bras en disant :

— Non, monsieur d’Artagnan, je veux voir.

— Si Votre Majesté veut voir, dit d’Artagnan, eh bien, qu’elle regarde.

Et se retournant avec cette furie qui le rendait si terrible, d’Artagnan bondit vers le chef des émeutiers, qui, un pistolet d’une main, une large épée de l’autre, essayait de se frayer un passage jusqu’à la portière, en luttant avec deux mousquetaires.